../Paris 8/UFR7/Aide psychologique aux familles migrantes/EA2034

 

 

Auteur

Pascal Pelapouët

Titre

DIEU CHEZ LES BAMILÉKÉ. INTERFACES ENTRE LA PENSÉE DE L'ÉGLISE ET LA PENSÉE TRADITIONNELLE BAMILÉKÉ.

Diplôme

Thèse de doctorat en Psychologie [Psychologie Clinique et Psychopathologie]

Directeur de recherche

Tobie Nathan

Jury

Tobie Nathan (Professeur, Paris 8, Directeur de la thèse), Pierre Angel (Professeur, Paris 8, Président du Jury), Alain Houlou (MCF, HDR, Lille 3, rapporteur), Jean-Baptiste Fosto Djemo (MCF, Paris 10), Pierre Luneau (ingénieur de recherche CNRS)

Date de soutenance

10 mai 2003

 

Décision

Mention très honorable, félicitations du jury.

 

 

 

 

RÉSUMÉ


Présentation de la recherche
 
En 1992, j’arrive en France pour un complément de formation, à l’Institut catholique de Paris. Mais, un concours de circonstances me conduit à l’Université de Paris 8 à Saint-Denis, où j’entreprends mon premier cursus en psychologie. Plus tard, en même temps que je poursuis ma formation en psychologie, j’embrasse un second cursus en ethno-anthropologie. On y traite d’ethnométhodologie, une sorte de philosophie des contraires. Des choses que j’apprends progressivement, à l’interface de ces deux cursus, je retiens par exemple que  les éléments, les objets, la langue, la logique, toutes les choses qui participent du noyau dur d’un peuple et de chaque peuple, le constituent comme singularité, différent d’autres peuples. Ce sont les vérités du peuple ; l’on m’enseigne que nous devons toujours en tenir compte dans nos rapports avec lui, tout en sachant que de telles vérités ne sont que des partis pris locaux. Dès lors, je me suis demandé : pourquoi et comment peut-on faire des vérités d’une singularité, des principes universels, acceptables à l’humanité entière ?
En nous apportant le christianisme, les missionnaires blancs nous ont dit que nos objets cultuels, les crânes de nos ancêtres, étaient des enclaves diaboliques. Nous ne connaissions alors ni la réalité du diable, ni son mode opératoire, nous savions seulement qu’il existait des êtres malfaisants dans le monde, mais, nous les avons crus ; nous avons abandonné nos objets. Aujourd’hui, ce sont les mêmes Blancs qui nous parlent du diable comme d’une pure vue de l’esprit. Mais, tout comme autrefois, les Blancs ne nous croient pas quand nous leur parlons de la sorcellerie, ils ne nous prennent pas au sérieux, allant parfois jusqu’à penser que nous sommes des malades mentaux. Et pourtant, de sorcellerie, eux-mêmes en sont parfois victimes.
Un matin, en se levant, M., le mari d’un couple antillais, découvre une statuette devant la porte d’entrée de l’appartement qu’ils occupent dans un immeuble en banlieue parisienne. Il appelle son épouse qui aperçoit l’objet à son tour. Tous les deux sont effrayés, ils en ont si peur qu’ils se gardent d’y toucher. Ils sont convaincus que l’objet est un acte de sorcellerie. Mais, qui peut bien vouloir du mal à ce couple? Il font appel à un Blanc, leur gardien d’immeuble qui vient leur porter secours. Il veut toucher l’objet, le couple avance sa théorie sorcière et tente en vain de l’en dissuader. Mais le gardien les tourne en dérision, les accusant de tenir un discours d’un autre âge. Il demande au couple de lui donner l’objet encombrant, il en décorera sa maison. Et le couple le laisse faire. Le gardien emporte l’objet chez lui. Quelques semaines plus tard, il décède. Depuis qu’il a été le premier à poser son regard sur la statuette, M., le mari, fait des crises d’étouffement épisodiques. Par dessus le marché, le couple entend dans la maison, des bruits sporadiques. Ce sont donc ces manifestations qui ont conduit ces deux personnes à demander l’aide d’un prêtre ; et c’est ainsi que je les ai rencontrés. 
La sorcellerie… elle existe ou elle n’existe pas ?
Finalement, l’idée que les choses du monde ne sont que des partis pris parfois politiques, qu’il existe plusieurs mondes et dans chaque monde cohabitent plusieurs univers complémentaires et non-opposables, m’a poussé à m’intéresser aux choses du monde duquel je proviens, auquel j’appartiens, le monde des Bamileke. Je me suis particulièrement intéressé à la rationalité du culte des ancêtres dont la connaissance, jusqu’à ce que je sois contraint d’en faire moi-même l’expérience, m’avait toujours semblé être une ineptie. Alors même que j’étais épris et captif, comme bon nombre de mes contemporains, des idées d’émancipation issues du monde blanc, c’est à ce moment que mes ancêtres m’ont appelé. Ce monde, les Blancs l’ont apporté aux Bamileke dans les bagages du christianisme, tout en faisant tout pour détruire leurs anciennes croyances. Les Bamileke ne sont pas entrés en résistance, ils ont consenti à l’ingérence ; ils ont reconstruit leur propre monde, tentant de le rendre à nouveau possible. C’est de ce monde possible, fait de compromis et de reconstructions que j’essaie de rendre compte dans cette thèse intitulée « Dieu chez les Bamileke ».
 
RESUME
Au Cameroun, le terme « bamileke » désigne une région, un territoire où vivent des peuples ainsi appelés depuis l’arrivée des Blancs, sans doute pour une raison de politique coloniale. Ils forment un groupe ethnique extrêmement vaste, socialement organisé en plusieurs entités traditionnelles autonomes, dénommées chefferies, dont le nombre dépasse la centaine. Les chefferies bamileke sont différentes les unes des autres, tout en entretenant des articulations fonctionnelles, cultivant ressemblances et oppositions, alliances et conflits. Ces chefferies ont en partage certaines traditions que l’on retrouve chez chacune — par exemple le culte des crânes des morts.


Prêtre et successeur, je suis aussi psychologue clinicien, je me suis engagé en même temps, dans l’existence, dans la vie, dans la pensée et dans la thérapie pour venir en aide à mes semblables. De cette place de thérapeute, à partir de mon expérience personnelle, j’analyse dans cette thèse, la façon dont les Bamileke ont intégré le christianisme, en le rendant compatible avec leurs divinités traditionnelles, leurs obligations Je me suis étonné devant leur façon d’aménager des contraires et de résoudre les contradictions, négociant avec plusieurs maîtres, composant entre divinités traditionnelles, dieu chrétien et exigences de la modernité. dans cette analyse, je me suis tout particulièrement attaché au domaine des soins « psychologiques ».
 
 
Conclusion


« Contre la menace, qui, à l’intérieur même de l’Eglise, pèse sur la liberté, le chrétien ne peut trouver protection, refuge et liberté qu’en lui seul, que dans l’asile de sa conscience libre »
 
Küng, H., La liberté du chrétien, op. cit., p.70
 

Les Bamileke présentaient très peu d’intérêt pour la colonisation et le missionnaire. Sur le plan politique, ils défendent leur intégrité territoriale en tant qu’entités autonomes. Sur le plan religieux, ils veulent bien devenir chrétiens, mais exigent de préserver leurs divinités locales.
Les Blancs les ont appelés « Bamileke », cherchant à en faire un seul peuple. Mais, même s’ils partagent le culte des ancêtres et des crânes,un Dieu, « Fabricant du monde », autant de caractéristiques qui les fédèrent, les divers groupes Bamileke ne confondent ni leurs limites territoriales traditionnelles, ni leur langue avec la langue des voisins, ni même leurs divinités locales, toujours spécifiques. Chaque village a une histoire et un roi fondateur qui le distingue des autres.
J’ajouterai enfin que la peur qu’un jour les Bamileke se lèvent comme un seul homme pour s’emparer du pouvoir politique au Cameroun ne peut être qu’une grossière erreur de jugement, étant donné qu’il existe entre les groupes qui les constituent, des différences radicales fondée sur  l’attachement de chacun à sa langue et à ses coutumes.
Généralement boute-en-train et fins stratèges, les Bamileke sont des gens très laborieux et d’une plasticité étonnante. A l’instar d’un liquide qui épouse toujours la forme du récipient qui le contient, ils enseignent l’art de la souplesse, en référence à la sagesse des ancêtres : « Bois-tu du vin, bois aussi de l’eau »  (« en prévision des jours qui seront pires », sous-entendu). 
Dans le combat qu’ils mènent pour la vie et l’existence, les Bamileke n’hésitent pas à s’expatrier, mais, le plus souvent, ils ne partent  jamais définitivement, revenant fréquemment fouler la terre du lieu où ils ont été constitués afin d’honorer les ancêtres, leurs pourvoyeurs de paix et de bénédictions. Jamais les Bamileke ne restent sur place pour attendre que les « termites » viennent à eux comme au Caméléon, ils se déplacent vers les termites ; le Crapaud est leur ancêtre.

En tant que psychologue, je me trouve dans l’obligation de récupérer toutes les ressources thérapeutiques disponibles chez les Bamileke : les divinités traditionnelles, la divinité chrétienne, les solidarités  familiales, les guérisseurs, les voyants et les devins, toutes les pratiques traditionnelles susceptibles de réanimer les personnes en dépérissement lent et progressif, tels que les dettes matrimoniales, les chèvres de « tankap », la sauce du géniteur, le don de nourriture aux semblables, etc.

Au terme de cette recherche, je suis convaincu que le culte des crânes qui n’est pas une « idolâtrie », n’est pas antinomique au christianisme. Les Bamileke sont si attachés à la vie et à sa préservation.  Et, je me demande si l’Eglise ne devrait pas réviser sa position en levant officiellement l’interdit dont elle frappe toujours ce culte à la fois thérapeutique et socialement inoffensif, afin qu’ils le vivent sans avoir à se cacher.
Je dois dire encore que, tout au long de cette recherche, un conflit intérieur a opposé le prêtre que je suis, au psychologue que je suis également, essayant tant bien que mal de surmonter les tabous et la peur du jugement tant de l’Eglise que de la tradition. Une contradiction qui aurait pu altérer ma méthodologie et qui est en l’occurrence, le rapport entre la vérité en général, la vérité dans l’absolu (le prêtre, juge) et la vérité du patient, la seule à prendre en compte par le thérapeute. D’où, les difficultés à construire un monde où le patient a toujours raison, à faire place aux exigences du patient et à accepter de se mettre en scène. Mais, comment faire de la clinique ethnopsychiatrique en dehors des postulats qui la fondent ?

 

 

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