../Paris 8/UFR7/Aide psychologique aux familles migrantes/EA2034

 

 

Auteur

Catherine Grandsard

Titre

Psychologie et psychopathologie des métis judéo-chrétiens

Diplôme

Thèse de doctorat en Psychologie [Psychologie Clinique et Psychopathologie]

Directeur de recherche

Tobie Nathan

Jury

Tobie Nathan (Paris 8), Pierre Angel (Paris 8), Serban Ionescu (Paris 5), Mireille Hadas-Lebel (Paris 4).

Date de soutenance

27 octobre 2000

 

Décision

Mention très honorable, félicitations du jury.

 

 

 

 

RÉSUMÉ

 

Cette thèse a pour objectif d’éprouver la pertinence théorique d’une catégorie du sens commun, pourtant nouvelle en psychologie (et en psychopathologie) : celle de métis judéo-chrétien. Cette notion est envisagée non pas comme une catégorie descriptive mais plutôt comme un outil technique susceptible de contribuer à la production de données nouvelles et d'inspirer des modalités de prise en charge adaptées.

L’on estime actuellement qu’un mariage sur deux dans la communauté juive française est un mariage dit " mixte ", le plus souvent judéo-chrétien. Ce phénomène reste pourtant peu étudié en France. Par contre, en Amérique du Nord, les questions que pose la fréquence de ce type de mariage – notamment celle de l’appartenance des enfants issus de ces unions – ont donné lieu ces dernières années à un nombre significatif de thèses et de publications tant scientifiques que de vulgarisation. Pourtant, malgré l’intérêt et l’originalité des thèmes abordés, la lecture de ces travaux révèle une faille méthodologique systématique du fait qu’aucune des théories auxquelles se réfèrent ces recherches n'offre une conceptualisation méthodologiquement satisfaisante de l’appartenance. En effet, les théories habituellement mises en œuvre en psychologie clinique ne permettent pas d’appréhender et décrire les liens entre individus et groupes culturels spécifiques dans la mesure où elles reposent sur une conception générale et universelle de l'individu humain. Or, l’objet d’étude en question n’a lieu d’être qu’à partir du moment où le chercheur est en mesure de distinguer les chrétiens des juifs, et vice versa. Dès lors qu'elle définit la culture (ou l'ethnie) comme catégorie déterminante pour la recherche en psychopathologie, le cadre théorique de l'ethnopsychiatrie – dans lequel se situe ce travail – offre des outils méthodologiques propres à construire ce type de question en objet de recherche.

Du point de vue clinique, la notion de métis judéo-chrétien est intéressante à partir du moment où l’on accepte de considérer que juifs et chrétiens relèvent de mondes distincts, voire incompatibles – en tout cas conflictuels –, chacun étant organisé autour de pensées, d’actes, de rituels, d’objets, de langues spécifiques. Par ailleurs, la catégorie de métis n’existe ni chez les juifs ni chez les chrétiens. De sorte qu’aucun des deux systèmes ne réserve de place particulière aux personnes issues de mariages mixtes. Ainsi, dans la mesure où ni les concepts généraux de la psychologie, ni les catégories propres aux groupes dont ils relèvent ne sont susceptibles de rendre compte de la spécificité du vécu de sujets situés à l’interface des deux systèmes, cette recherche propose de penser ces sujets à partir du concept de " métis culturel ", plus précisément de " métis judéo-chrétien ", les invitant par la même occasion à se penser eux-mêmes à partir de ce concept en leur fournissant un dispositif leur permettant de le faire. Cela semble pertinent à deux titres : d’une part pour la compréhension du destin de ces sujets comme résultat d'une " fabrication " ; – autrement dit, par le biais de cette notion, la proposition leur est faite de réfléchir sur la manière dont ils se sont construits, dont on les a construits et dont ils continuent à se construire – ; d’autre part, pour leur traitement, lorsque cela s'avère nécessaire. A partir du postulat de l’hétérogénéité des systèmes en question, une seconde proposition a guidé ce travail. Cette proposition est la suivante : les problèmes singuliers sont susceptibles de surgir non pas des conflits intrapsychiques ou relationnels des sujets mais de l’articulation des systèmes hétérogènes dont relèvent les personnes issues d’unions mixtes judéo-chrétiennes. Ce sont ces problèmes spécifiques, rencontrés à l'interface des systèmes et des réseaux, qui sont développés et analysés dans ce document.

Concrètement, la recherche a été menée auprès d'adultes âgés de 25 à 65 ans, issus de mariages entre juifs et chrétiens (catholiques ou protestants). Pour le recueil du matériel, outre une douzaine de cas cliniques rencontrés ou suivis en institution, des entretiens de recherche psychohistoriques enregistrés au magnétophone ont été effectués auprès de dix-huit personnes. Tous les entretiens enregistrés ont été transcrits mot à mot. A partir des transcriptions, des récits de vie détaillés ont été construits pour sept cas selon une méthode visant à mettre en lumière certains aspects de la problématique de l’individu ou de sa famille au regard de faits historiques pertinents ainsi que de certains rituels ou objets spécifiquement juifs ou chrétiens. D’autres cas sont exploités sous forme de vignettes venant illustrer divers points théoriques et méthodologiques. La thèse est organisée de la manière suivante : après un exposé détaillé de l’état de la question en France puis en Amérique du nord, le cadre théorique dans lequel s’inscrit la recherche est précisé et les hypothèses explicitées. Un premier récit de cas vient illustrer cette partie et introduire l’exposé méthodologique. Suivent six autres récits de vie détaillés construits à partir du matériel recueilli et visant à mettre en lumière l’intérêt d’aborder les individus nés d’unions mixtes entre juifs et chrétiens à partir de la notion de métis judéo-chrétien. Les implications tant cliniques que théoriques et méthodologiques d’une telle approche sont développées dans les conclusions de la thèse. En résumé, elles sont les suivantes : d'un point de vue clinique, il s'avère intéressant de penser les personnes à partir des systèmes d’objets, postulés comme non métissables, à plusieurs titres. En effet, une telle démarche produit des récits au plus près de la propre perception des personnes ; elle laisse les questions ouvertes et empêche de ce fait le clinicien de prendre une position d’absolue compréhension ; elle permet en outre de faire apparaître des propositions ouvrant de nouvelles perspectives aux personnes, et notamment la possibilité de " réparer " la rupture occasionnée par le mariage exogame de leurs parents dans un mouvement de réappropriation des objets du " monde " délaissé. Par ailleurs, une telle approche permet aux personnes de s'emparer des mythes d'origine, de se penser non plus comme des prototypes isolés mais comme des individus traversés par les préoccupations et l'histoire d’une collectivité. Enfin, il convient de préciser que le résultat d'une telle position méthodologique n'est pas de fabriquer des juifs ou des chrétiens pieux, mais des sujets " normaux ", libres de mener leur vie tel qu'ils l'entendent.

 

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