../Paris 8/UFR7/Aide psychologique aux familles migrantes/EA2034

 

 

Auteur

Chehem Mohamed Watta

Titre

LE DIEU-KHAT ET LE VIRUS DU SIDA

Diplôme

Thèse de doctorat en Psychologie [Psychologie Clinique et Psychopathologie]

Directeur de recherche

Tobie Nathan

Jury

Tobie Nathan (Professeur, Paris 8, Directeur de la thèse), Serban Ionescu (Professeur, Paris 5, Président du Jury), Patrick Deshayes, Maître de conférences, HDR, Université de Paris 7, Antoine Lazarus (Professeur, Université Paris 13)

Date de soutenance

9 mai 2003

 

Décision

Mention très honorable, félicitations du jury.

 

 

 

 

RÉSUMÉ


 
Cette recherche - action couvrant la République de Djibouti et l’Ethiopie, examine l’incidence de la rencontre entre le virus du sida et la substance khat, vénérée comme un véritable Dieu par les peuples de la Corne d’Afrique. Explorant les conditions de fabrication et de naissance du VIH, elle fournit des données et informations multidimensionnelles sur son expansion, ses conséquences en Afrique subsaharienne et analyse de manière critique expériences et actions entreprises dans la prévention mondiale et nationale. S’inscrivant dans le cadre de l’ethnopsychiatrie, elle procède de l’investigation des cultures et ethnies, leurs divinités et les multiples religions de la Corne d’Afrique. A la lumière des concepts et méthodes de cette discipline, elle analyse les caractéristiques propres à la divinité - khat, ses récits d’origine, ses conditions de culture et de consommation, ses fonctions premières ainsi que les antagonismes culturels et religieux pour enfin décrire son action clinique et sa rencontre, dans le milieu urbain de Djibouti-ville, avec le virus du sida caractérisé par la rupture totale du lien social.
 
La méthodologie multiple adoptée par cette recherche – action sur le terrain, a permis l’exploitation des données variées, recueillies par des techniques d’entretien, un documentaire audio-visuel et un questionnaire administré à la catégorie des populations retenue pour illustrer le vécu quotidien ainsi que la rencontre entre le virus du sida et cette drogue et cela au sortir de certains lieux et de rituels imposés aux consommateurs. Les analyses transversales effectuées sur le corpus des données collectées grâce aux entretiens avec les personnes infectées par le VIH ont permis de mieux comprendre le vécu de l’individu, les problèmes rencontrés dans sa trajectoire de vie et les changements intervenus par exemple après l’infection. Le documentaire audiovisuel met en relief la mobilisation sociale concrète déployée par une association regroupant plusieurs femmes et les stratégies individuelles mises en œuvre à travers quatre cas de femmes infectées et affectées par le VIH et suivie dans le cadre de ce groupe durant plus de 4 ans.
 
Se sont avérées intéressantes et fécondes les investigations menées sur les lieux et les rituels, les paroles comme les lieux de paroles de cette plante absorbée par plus de 80% d’hommes djiboutiens. Si certains lieux ont conservé les fonctions originelles tels que le Makam, la Demeure des Maîtres de la Connaissance, d’autres comme le Mabraz, le Migliss des femmes, les Mabraz mixtes ont transformé les formes d’adoration, devenant des endroits dans lesquels, seul le Dieu - khat est capable de convoquer un parlement des êtres et des choses. Ainsi cette plante semble offrir chaque jour, tant à l’individu qu’au groupe, un devenir – plante, un destin métamorphosique exposant l’homme au changement d’enveloppe, le rendant ainsi vulnérable : au temps de sida, le khat semble ouvrir cette enveloppe. Dès lors le Mabraz, « lieu de duel et des paroles ouvertes » devient un espace dedialogue social certes mais surtout de confidence impliquant un dévoilement de l’individu. Le groupe étudié semble conscient que cette métamorphose peut déboucher sur des risques de danger réel. Nos consommateurs - hommes en grande majorité - pensent autant que les femmes que cette plante transforme, offre une aventure intellectuelle unique mais expose les individus à des relations sexuelles risquées face au virus du sida. Si une des fonctions premières du khat consistait pour un groupe d’initiés ( Soufi ) ou des maîtres du secret d’adorer Dieu, d’élever prières et louanges vers Lui dans un ascétisme rigoureux, les résultats de notre recherche démontrent que s’opère une espèce d’inversion de cet ascétisme parce que les rituels et les lieux d’absorption « contemporains » de cette plante favorisent chez les individus consommateurs une quête effrénée de plaisir, dont l’immédiateté cette fois est réelle, physique, concrète et sur terre ! Cette quête se caractérise par des « patrouilles », épuisant l’individu physiquement, sans pour autant lui procurer, lorsqu’il rencontre un(e) partenaire, le plaisir sexuel recherché. La consommation du khat entraînerait ainsi une déchirure de l’enveloppe de l’individu, laissant place à une immersion du dedans par le dehors, entraînant l’invasion intolérable des idées du dedans projetées dans une effroyable marche exténuante, d’une quête que les Djiboutiens attribuent au « mirkan », c’est à dire à l’action directe du khat.
 
Les données recueillies grâce au questionnaire permettent en outre de soutenir qu’il y a une corrélation significative entre la consommation du khat et la recherche du plaisir sexuel par les consommateurs. En effet, pour 63 % de notre échantillon, l’absorption du khat facilite les rapports sexuels entre les hommes et les femmes alors que 12,7 % pensent le contraire. Il s’agit d’une position tranchée aussi bien pour les hommes que les femmes même si 24,3 % de l’échantillon estiment ne pas savoir son influence sur les rapports sexuels. Cette tendance se reflète aussi dans une proposition consistant à soutenir que cette plante favorise la multiplication des rapports sexuels : plus de 63 % sont « tout à fait d’accords » alors que seulement 16,8 % sont tout à fait opposés à cette proposition et une proportion de 19,5 % croit ne rien savoir. Il y a une large unanimité entre les hommes et les femmes ( 64 à 63 % respectivement ) pour penser à l’existence d’un fort lien entre cette substance et la multiplication des rapports sexuels avec un(e) partenaire connu(e) ou non. Dès lors dans un environnement à forte présence du virus du sida ( le taux de séroprevalence à Djibouti est estimé, en 1997, à 11, 72 % de la population adulte ) le consommateur du khat aurait plus de risque qu’un non-consommateur d’être en contact avec le VIH. Ce qui justifierait peut être, en partie, ce taux considérable de prévalence dans ce petit pays de 600 000 habitants, musulmane à 99%.
 
Tout semble indiquer qu’au départ l’islam a eu une idée géniale en associant le khat à son élan d’islamisation des peuples de la Corne d’Afrique. Aujourd’hui, cette divinité - khat entre en concurrence directe, chaque jour, avec l’islam qu’elle gène considérablement. Le conflit par conséquent est inévitable, entre les humains fabriqués par cette plante, « Ayana puissant » du grand Dieu unique Waq et ceux qui prêchent l’islam dont les fidèles rejoignent chaque jour l’autre rive. Et cela, malgré le danger que le virus du sida représente, dans l’environnement immédiat de chaque consommateur djiboutien et éthiopien.

 

 

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