La pseudo homosexualité grecque et le "miracle grec"*
 

par Georges Devereux

 

  Bibliographie des publications de Georges Devereux (384 références établies par Georges Bloch)
abstract in english
 
  * Texte paru en français dans Ethnopsychiatrica, II, 2, 1979, 211-241
 


Introduction

L'homosexualité grecque pré-platonicienne et a fortiori pré-hellénistique, qui fait l'objet de cette étude, a plus souvent été " oblitérée " par les explications plutït qu'élucidée [1]. De ce fait, il n'existe à ma connaissance aucune tentative pour l'aborder psychanalytiquement, ceci bien que la perversion soit un problème psychiatrique; peut-être la cause doit-elle en être cherchée dans la conviction erronée que la psychanalyse fait paraître les choses pires qu'elles ne sont [2]. Pourtant, à observer les faits en toute bonne foi, on découvre d'ordinaire qu'ils sont moins monstrueux que ne le sont leurs ombres sur les murs. Psychiatriquement, le comportement homosexuel est, sous certains rapports, moins pathologique que ne l'est l'homosexualité psychologique idéalisée par Platon.

Nous défendons ici le point de vue selon lequel l'homosexualité pré-platonicienne, bien que manifeste au niveau du comportement, était psychologiquement inauthentique. Elle était un produit dérivé de la manière malencontreuse dont les Grecs faisaient fonctionner une configuration psycho-sociale, dont le vrai fruit était le " Miracle Grec ".

L'homosexualité grecque était un phénomène à la fois psychiatrique et culturel; son interprétation requiert donc l'utilisation conjointe de données cliniques et socio-(ethno)logiques. Je n'entends nullement par là que les Grecs fussent mi-Hottentots, mi-névrosés mais que les Grecs, Hottentots et névrosés sont également humains; qu'ils ne pourraient être ni Grecs, ni Hottentots, ni névrosés s'ils n'étaient en premier lieu des hommes. Refuser d'appréhender les Grecs avant tout comme des être humains ne peut que nous conduire -pace Wilamowitz - à l'incompréhension totale de leur grécité. Si, d'ailleurs, l'expérience grecque n'est pas celle d'hommes comme nous-mêmes, elle n'a aucun rapport avec nous et ne mérite pas qu'on l'étudie.

Une rigoureuse application des " insights " psychanalytiques et ethnologiques prouvera que le Grec moyen - même le dandy athénien laconisant, même le Spartiate - n'était pas, psychiatriquement, un perverti, en dépit de son comportement homosexuel. A certains égards il était peut-être même plus hétérosexuellement orienté que l'homme moderne. Un adolescent contemporain, courtisé par des hommes adultes, encouragé à en tirer gloire et soumis de plus à des pratiques homosexuelles deviendrait, dans la plupart des cas, un perverti authentique et permanent et dans le reste des cas, un névrosé. L'adolescent grec devenait pourtant un adulte non névrosé - totalement (ou en grande partie) hétérosexuel. En fait les Grecs considéraient le rïle d'éromenos comme un stade du développement de l'enfant vers la masculinité. Ce n'était assurément pas la meilleure voie, mais elle était rendue nécessaire par un paternage inadéquat, comme il sera montré plus loin [3].

En somme, l'homosexualité grecque fut un phénomène à la fois psychologique et sociologique; pour autant qu'elle fut un comportement individuel, elle doit être expliquée psychologiquement, en tant qu'activité culturellement encouragée, de manière sociologique. Des explications multiples et également complètes sont courantes dans le monde scientifique [4].

Les explications psychologiques et sociologiques d 'un phénomène donné étant complémentaires [5] dans le sens heisenbergien du terme, on peut, par exemple, faire à la fois sociologiquement et psychanalytiquement l 'analyse longitudinale d'un cas d'homosexualité, déterminer la convergence des deux explications et démontrer que les deux ensembles discrets de causes et de mobiles se renforcent mutuellement [6].

La capacité de " fonctionner " homosexuellement fait partie du répertoire potentiel global de l'humanité, au même titre que la capacité (également anormale) d'avoir des visions. Le névrotique actualise de telles potentialités poussé par des besoins idiosyncrasiques; dans une large mesure les Grecs manifestèrent les leurs en réponse à une demande culturelle [7]. Cela ne signifie pas que l'actualisation de notre potentiel humain global soit normale, simplement parce qu'elle répond aux pressions culturelles [8]; la société exige souvent de ses membres qu'ils se comportent anormalement et récompense ceux qui obtempèrent à cette demande: la Pythia, les Bakchai, le berserker, le ghazi, le visionnaire crow.

 


La nature d 'une perversion authentique

Ce qui est significatif d'une perversion, ce n'est pas une forme particulière de comportement, mais le fait que ce comportement soit rendu nécessaire et possible par des fantasmes pervers sous-jacents. On ne peut guérir une perversion en interdisant certains actes au perverti; ce qui doit être aboli, c'est le fantasme qui la sous-tend [9]. On doit donc placer au cœur de toute discussion sur l'homosexualité grecque - et sur la sexualité en général - la fantasmatique grecque, telle qu'elle nous est transmise par les mythes et la littérature. Comme cette étude se limite à l'homosexualité courante, les pervertis authentiques qui ont réellement exiaté ne seront mentionnés qu'au passage [10].

La perversion, au sens psychiatrique, a trois caractéristiques fondamentales:

1) Stabilité. Les perversions - et l'homosexualité masculine en particulier - sont extrèmement difficiles à guérir. Toutefois l'homosexualité grecque courante n'était pas une configuration comportementale stable. Les étapes de son évolution vers l'hétérosexualité étaient méme standardisées: eromenos, erastes, mari [11]. Ceux dont le comportement s'écartait de cette forme - l'efféminé, le " coureur de garçon " - étaient critiqués, tournés en ridicule et pénalisés par la société.

2) Compulsion. Une perversion est une sorte de compulsion; le perverti a aussi peu de contrïle sur sa perversion que le mysophobe n'en a sur son incessant lavage de main. Vingt cinq ans d'expérience clinique m'ont convaincu qu'une perversion est surtout un mécanisme de défense contre l'angoisse et seulement en second lieu un exutoire pulsionnel et une source de plaisir. Le perverti, privé de la pratique de sa perversion (compulsion), ressent d'abord de l'angoisse; ce n'est que plus tard qu'il éprouve également une frustration sexuelle. Le contraire se produit chez des personnes normales privées de rapports hétérosexuels. Je n'ai connaissance d'aucune donnée mentionnant que le Grec moyen, privé de relations homosexuelles devint angoissé. Certains comportements excessifs et exhibitionnistes d'amoureux éconduits nous semblent des performances théatrales stylisées, comparables aux poses affectées des soupirants français du dix-septième siècle ou du désespoir d'histrion des amoureux romantiques. En bref, il n'existe aucune preuve que l'homosexualité grecque courante fut une compulsion, au sens où une perversion authentique est une compulsion.

3) Atténuation du plaisir. Un des buts (inconscients) d'une perversion est de réduire l'intensité des expériences sexuelles de peur qu'une jouissance totale puisse amener une " perte de contrïle " [12]. Dans une perversion, la pulsion est fusionnée avec et mise au service des pulsions agressives non-sexuelles; cela explique non seulement pourquoi les actes pervers procurent un plaisir moindre que les normaux, mais encore pourquoi une " perte de contrïle " y est redoutée: le " danger " réside dans l'éventualité d'une désinhibition possible de l'agressivité directe et non déguisée. Les Doriens résolurent partiellement le problème en associant homosexualité et militarisme, ce qui fournit un exutoire supplémentaire à l'agressivité. En somme, nous n'avons aucune preuve que l'homosexuel grec fut un anti-hédoniste larvé ou que son homosexualité ait recèlé une somme considérable d'agressivité et d'hostilité fusionnée avec la sexualité.

Puisque l'homosexualité grecque n'était ni stable, ni compulsionnelle, ni anti-hédonistique, ni fusionnée avec une quantité appréciable d'agressivité, le Grec moyen n'était pas un perverti authentique, dans le sens strictement psychanalytique du terme. Son comportement homosexuel avait donc des racines psychologiques radicalement différentes.

La sexualité pubertaire indifférenciée

La perversion authentique a ses racines dans la prime enfance. L'homosexualité grecque semble avoir eu les siennes dans la sexualité pubertaire dont elle représentait probablement le prolongement. La notion d'une sexualité indifférenciée - et non différenciante - était probablement connue des Grecs [13]. La sexualité diffuse de la puberté n'est normale qu'à cet âge; elle doit être dépassée par la suite. Les Grecs retardèrent l'abandon de cette " névrose de développement " par des moyens culturels.

 

1. Spontanéité et étrangeté. A la puberté, le besoin sexuel est vécu comme force spontanée et presque extérieure, dans le sens où Medeia éprouve son " thumos " comme presque extérieur à elle [14]. La tumescence spontanée fascinait les Grecs comme elle fascine les adolescents [15]. L'expérience d'une telle excitation comme " étrangère au moi " est - pour des raisons évidentes - plus marquée chez le garçon que chez la fille. Il semble que seule Eos soit constamment et spontanément excitée [16]; l'excitation d'autres femmes mythiques semble toujours provoquée par un " objet d'amour ". Cela suggère que la femme grecque, bien maternée, atteignait la maturité psychosexuelle [17] plus tït que l'homme. Cette particularité du " vécu " de la pulsion sexuelle chez les adolescent et les Grecs explique en partie l'attrait obsessionnel de l'erastes pour le phallus (et non pour la "puge" [18]). Une telle attitude est certainement inhabituelle chez les pervertis authentiques (actifs); on la trouve par contre fréquemment chez le garcon psychosexuellement immature [19].

2. L'érotisme centré sur lui-même de l'adolescent est une conséquence directe de ses préoccupations phalliques; les émotions et le " vécu " du (ou de la) bien-aimé(e) ne l'intéressent pas réellement. Les Grecs le savaient: ils n'attendaient " d'anteros " que de la part des jeunes adultes [20]. Un examen approfondi des poèmes d'amour de la haute antiquité confirme la prédominance de l'érotisme centré sur lui-même [21], ce qui est un signe typique d'immaturité; l'adulte authentique, au contraire, est attentif aux sentiments du (ou de la) bien-aimé(e), au lieu de ne l'être qu'à sa docilité; pour lui, " l'anteros " est indispensable.

Une manifestation de ce type d'érotisme adolescent apparaît peut-étre à travers les nombreux viols rapportés par les mythes grecs; ils sont plus nombreux là que dans aucune autre mythologie que je connaisse.

3. Indifférenciation. L'adolescent - et spécialement le pubescent - n'est pas (encore) hétéro ou homo-sexuel; il est seulement " sexuel ". Presque chaque objet extérieur peut déclencher une réponse libidinale ou être fantasmé comme moyen potentiel de gratification [22]. De plus presque chaque humeur fait surgir un cortège d'associations sexuelles: joie, tristesse, plaisir esthétique, bien être physique après l'effort etc. peuvent toutes mobiliser désirs et fantasmes érotiques. Les enquêtes orientées purement vers les comportements - comme les rapports Kinsey - et les investigations psychanalytiques prouvent toutes deux que les adolescents se livrent à des expériences sexuelles variées.

4. Pseudo-différenciation et prestige. Puisque l'adolescent peut " fonctionner " presque aussi aisément dans des registres divers, il le peut également dans le registre fixé par la société. Les adolescents américains multiplient avec une sorte de frénésie les rendez-vous amoureux, non parce qu'ils sont déjà hétérosexuels, mais parce que c'est là ce qu'on attend d'eux et ce qui leur confère du prestige; certains d'entre eux optent par la suite pour l'homosexualité. Les garçons grecs recherchaient vivement la cour - et peut-étre même des actes - homosexuels de la part des adultes, non qu'ils fussent des homosexuels déjà stabilisés mais en raison du prestige que cette façon d'agir leur conférait; la plupart d'entre eux optaient plus tard pour l'hétérosexualité [23]. Nous montrerons plus loin que l'homme grec adulte conservait de nombreuses caractéristiques d'un manque de différenciation sexuelle propre à l'adolescence et " glissait " facilement d'un type d'objet d'amour (Liebesobjekt, Freud) à un autre: plusieurs textes décrivent sans ambiguité ce " glissement " .

En résumé, la sexualité adolescente peut être dénommée " névrose de développement "; elle est transitoire par définition et révèle une difficulté d'adaptation relative à un état nouveau et de stress: la puberté.

5. Identité sexuelle incomplète. Le sens de l'identité sexuelle doit avoir deux composantes: " je suis un mâle, j'ai un pénis " et " je suis un mâle, je couche avec des femmes " . Le sens complet de cette identité fait souvent défaut chez les homosexuels ainsi que dans les cas graves de névrose obsessionnelle (où les sujets sont de pseudo-hétérosexuels) [24]. Il est incomplet chez les adolescents avant l'apparition de ce qu'on appelle les " caractéres sexuels secondaires ". Les Grecs trouvaient les garçons plus attrayants avant qu'ils ne soient devenus des adultes pleinement et manifestement barbus [25].

On note également que l'Athénienne se mariait presque immature, c'est-à-dire incomplètement différenciée. La Spartiate se mariait plus tard mais la pratique de l'athlétisme lui donnait une allure garçonnière et l'éducation la rendait psychologiquement virile; ces deux faits équivalent à une différenciation incomplète.

En somme, le pouvoir séducteur de l'eromenos, certainement, et celui des filles, selon toutes probabilités, était évalué en Grèce en fonction de l'inachèvement de leur différenciation morpho- et psychologique, et donc de leur sens encore incomplet de l'identité sexuelle (cf. infra) [26].

 

Prolongation sociale de l'adolescence

La société grecque encourageait l'adolescent indifférencié à manifester des penchants homosexuels et l'adulte à conserver des caractéristiques juvéniles, le bel adolescent représentant l'idéal de groupe grec [27]. Il était aussi ce que La Barre appelle un " point de mire social " [28]. L'adulte grec manifestait de nombreuses réactions adolescentes [29] et cet aspect de son comportement explique aussi maintes formes de conduites irresponsables dans la vie publique: Alkibiades est un exemple classique de ce que j'ai dénommé: " adolescents honoraires " [30].

De tels types d'adultes sont courants dans les sociétés dont l'idéal est la jeunesse; la prolongation artificielle de l'adolescence jusqu'à un âge adulte avancé fait partie de ce que les sociologues américains appellent " youth culture " [31]. La Grèce classique possède maintes caractéristiques d'une " youth culture ", spécialement pour ce qui est des hommes. L'un des moyens par lequel l'homme adulte pouvait rester en contact avec le monde privilégié, admiré (et irresponsable) de l'adolescence consistait à devenir l'erastes d'un garçon ou bien, d'une autre façon, dissimulé derrière la barbe d'un philosophe ou d'un sophiste, son " maître ". Notre admiration pour Sokrates ne devrait pas nous faire oublier qu'il aurait pu répéter, mot pour mot, les paroles de Lysimachos s'accusant d'être un père négligent [32] et suivre lui-même les conseils qu'il prodiguait à un jeune homme pour être un bon mari [33]. A passer son temps en discussions de rue avec des étrangers, il ne pouvait lui en rester beaucoup pour parler à Xanthippe [34].

Ainsi la prolongation de la non-différenciation sexuelle à l'âge adulte fut un épiphénomène du caractére de " youth culture " de la société grecque; elle eut beaucoup d'inconvénients, mais aussi certains avantages qui seront discutés plus loin.

L'aspect le plus " compréhensible " semble-t-il, - et par conséquent le moins exploré - de l'homosexualité grecque est la relation entre un adulte actif et un adolescent passif [35]. Une question se pose impérativement: pourquoi les garçons se tournaient-ils vers des hommes adultes et vice-versa. Lysimachos confessant ses insuffisances en tant que père nous en fournit la réponse [36]. Habituellement, le père grec se souciait peu de son fils; au lieu de cela il s'occupait du fils (qui l'attirait sexuellement) d'un autre homme. Le garçon, quant à lui, ayant besoin d'un père effectif sur lequel se modeler [37] devait compter sur son erastes qui jouait également le rïle d'un père suppléant. C'est là le phénomène anthropologique bien connu du " paternage " déplacé, un peu plus commun dans les groupements matrilinéaires que patrilinéaires. Que la présence de ce phénomène au sein de la société grecque ait quelque portée sur l'hypothèse toujours débattue du matriarcat pré-hellénique, c'est là un problème qu'il vaut mieux laisser au spécialiste. Tout ce qu'on peut en dire est qu'il semble sous-tendre quelques mythes grecs [38].

Dans la plupart des sociétés, le père est responsable de la mauvaise conduite de son fils; à Sparte, de façon caractéristique, c'était l'eraste qui etait tenu pour responsable de la méconduite de l'eromenos. Le " paternage " déplacé peut difficilement aller plus loin [39].

Ceci nous amène à une particularité apparemment inobservée des mythes grecs. Peu de mythologies rapportent autant de cas d'inceste et de perversion. Pourtant il ne semble pas y avoir de cas d'inceste homosexuel dans les mythes [40]. Ce fait requiert une explication. Il se peut que, l'erastes étant le père suppléant (éducateur) et l'eromenos fils suppléant (pupille), l'invention de tels mythes devint ou superflue ou trop anxiogène. C'est là, en mettant les choses au mieux, une explication partielle, bien qu'indirectement étayée par A. Dict. 802 sqq. (Ll.-J). Silenos essaie de se mettre dans les bonnes grâces du petit Perseus dont on dit qu'il aime bien le pénis (781). Il lui promet de l'embrasser, de le laisser jouer avec des animaux sauvages et de lui permettre d'épier son coït avec Danae (810). Lorsque Silenos sera trop vieux pour chasser, Perseus chassera à sa place - manifestement comme son substitut - pour Danae.

Cette scène est frappante sous deux aspects:

 

1. La scène primitive (Freud) traumatise plutït que n'amuse les petits garçons; certains d'entre eux y réagissent en devenant par la suite homosexuels.

2. Le texte contient des implications " didactiques " saugrenues. Comme il le fait pour la chasse, Silenos veut apparemment enseigner aussi pour le coït " comment cela se fait " [41].

Dans un contexte clinique, le fantasme " paternel " de Silenos suggérerait des pulsions homosexuelles-incestueuses latentes; c'est là ce que cette scène pourrait mettre en évidence.

Nous voici ainsi conduits à la théorie magique de Bethe, que Dover rejette, en partie sur la base qu'une telle magie est étrangère à l'aire culturelle méditerranéenne [42]. Bethe soutenait que la " paiderasteia " dorienne était originellement une pratique magique. Elle visait à transmettre " l'excellence morale " d 'homme à homme. Le seul point faible réel de la thèse de Bethe est que " l'excellence morale " aurait difficilement pu étre transmise dans des temps (présumés) archaïques par des " pratiques magiques " d'ordre aussi primitif. S'il y a quelque chose de vrai à retenir de cette théorie, c'est que la force physique aurait pu être ainsi transmise éventuellement, puisque la semence est presque partout considérée comme substance magique; sur ce point, il existe des analogies avec les primitifs [43]. De façon plus atténuée, diverses tribus pensent que la croissance du fœtus est favorisée par la semence paternelle mise à sa disposition [44]. Là où l'on trouve irréfutablemant la notion qu'une chose telle que " l'excellence morale " peut se transmettre homosexuellement, c'est chez le psychotique " borderline " moderne [45]. Mais il va sans dire que les Grecs n'étaient pas une nation de " borderlines ". Ainsi amendée, la théorie de Bethe est moins improbable que Dover ne le considère; ce qui, bien entendu, n'implique pas automatiquement qu'elle soit vraie. Très probablement, le problème de sa justesse ou de sa fausseté peut être considéré comme oiseux, au même titre que la plupart des spéculations sur " l'origine " des choses. Ce qui est analysable, c'est la fonction sociale du type grec d'homosexualité.


Considérations sociologiques

Chaque groupe social cherche à se différencier des autres groupes, habituellement par des moyens voyants mais dysfonctionnels [46]. L'homosexualité grecque semble avoir eu ce sens; Solon en interdit la pratique aux esclaves [47] et je n'ai pu découvrir pour ma part aucun indice d'une homosexualité courante chez les Ilotes [48]. Quant à savoir si une telle différenciation se fait en termes de l'homosexualité, de lois somptuaires, du droit à demander réparation par les armes, etc. cela ne relève pas de la sociologie, dans la mesure où l'on reconnaît qu'un aspect fonctionnellement sans importance est survalorisé de façon obsessionnelle [49].

Il serait sociologiquement erroné de conclure du fait que les Grecs survalorisaient la cour homosexuelle, en discutaient ad infinitum et la pratiquaient de façon ostentatoire, que l'homosexualité tenait un rïle fonctionnellement important [50]. Elle n'appartenait pas au courant principal de la culture. Certains complexes-de-traits marginaux et très peu fonctionnels se voient souvent élaborés bien au-delà de leur signification inhérente. De fait, quelques-uns d'entre eux ne doivent leur survie qu'à cette surélaboration. Les éléments vraiment fonctionnels de la culture n'ont pas besoin pour subsister d'être perpétuellement discutés [51]. Parfois ces complexes-de-traits artificiellement " gonflés " ont une grande " masse sociale " [52]; ainsi en fut-il du duel au dix neuvième siècle et des stars de cinéma des années 20, sans toutefois que ceux-ci appartiennent au courant dominant de la culture fonctionnelle.

Une large part de ce que la culture humaine a de meilleur et une part plus large encore de ce qu'il y a de pire en elle, se présentent comme quelque produit de luxe dont la perpétuation est assurée par une surévaluation. La pratique d'une cour homosexuelle en Grèce était un " étalage voyant " au sens accordé par Veblen à cette expression. Elle était hautement stylisée, ostentatoirement et méticuleusement chevaleresque [53]. L'homme ressent apparemment le besoin d'être chevaleresque, spécialement de façon dysfonctionnelle [54]; le mariage grec offrait peu d'exutoires à ce besoin. C'est là un point fondamental pour une compréhension de cet aspect propre à " l'amour " homosexuel grec et particulièrement à ses justifications et idéalisations philosophiques [55], qu'il dissocia l'élite du reste de la cité, fut générateur de prestige et partant ostentatoire.

L'indifférenciation sexuelle ne peut être mise en évidence ni par l'inventaire des actes mythiques pervertis, ni par celui des perversions successives d'Herakles, par exemple. La première démarche se bornerait à prouver l'existence de pervertis " spécialisés "; la seconde celle de la " perversité polymorphe " d'Herakles. Une continuité est nécessaire, le sujet devant glisser d'un objet d'amour vers un autre ou transposer les techniques sexuelles; c'est là une question de " substituabilité " fonctionnelle. Un expert des généalogies grecques pourrait éventuellement rechercher si chaque membre des couples d'amants homosexuels avait tendance par la suite à se marier avec une parente de l'autre; d'un point de vue psychologique cela est probable, des éléments d'homosexualité latente pouvant intervenir dans le choix d'une épouse [56].

Le processus de glissement est brillamment mis en évidence par Bakchylides 33. 165 sqq. Sn. Herakles est excité par la beauté de l'eidolon de Meleagros; il propose donc à celui-ci d'épouser sa sœur, si toutefois celle-ci lui ressemble. Or, cela n'est possible que dans la mesure où, elle aussi, est " garçonne ", athlétique et guerrière, ce qui est précisément le cas [57]. Dans ce récit, Herakles, excité par l'eidolon d'un homme, glisse sous nos yeux:

 

1. D'un garçon à une " garçonne ", ce qui est facilité par leur ressemblance familiale.

2. Du mort au vivant, ce qui est facilité par le fait que l'eidolon ressemble à la fois à Meleagros et à Deianeira. Les sources grecques décrivent plusieurs types de glissement :

3. D'homme à femme (psychologiquement): cf. supra B. 33.165 sqq. Sn.

4. D'homme à femme (techniquement): Photios s.v. kusolakon. Dover (pp. 36-7) accepte comme " all but inescapable " la correction dûe à Ruhnken de " Melaine " (Melaneus?) en Hélène et en déduit que Thésée pratiquait le coït anal avec Hélène pré-pubère [58]. Citant ensuite Hagnon (Athen. 602d) et Ar. I,ys. 1173 sqq., il conclut fort justement que les jeunes Spartiates faisaient l'amour de cette façon avec des filles nubiles et rappelle à ce propos qu'il existait à Sparte " un degré anormal d'émancipation féminine en même temps qu'un système d'héritage patrilinéaire et une ignorance des moyens contraceptifs efficaces " [59]. Ceci réflète la transposition d'une technique homosexuelle à un contexte quasi hétérosexuel. On pourrait, au moins en ce qui concerne la Grèce, en dire autant de la fellation hétérosexuelle [60].

5. D'homme à garçonne (cf. supra (58). L'athlétique fiancée spartiate était tondue et habillée en homme [61] ; c'est là, prétend-t-on, un travestissement " apotropaïque " [62]. Mais il se peut qu'il ait eu également une fonction psychologique: aider le partenaire masculin à glisser vers l'hétérosexualité [63]. L'hypothèse d'une facilitation sociale de ce glissement vers la normalité est anthropologiquement défendableb[64], les Grecs sachant que cette façon de traiter les femmes comme des hommes se pratiquaient aussi en Lydie [65].

6. De femme (peut-être) à rival masculin: Sapph. fr. 31 LP[66].

7. Des vivants aux morts [67]. Periandros coucha avec sa femme morte qu'il avait tuée à coups de pieds dans l'abdomen, alors qu'elle était enceinte [68]. Peu de temps après que sa femme incestueuse se fut pendue, Dimoites pratiquait le coït avec le cadavre d'une noyée (pendaison =noyade= suffocation = mort) [69]. Dans tous ces exemples - et spécialement dans celui de Periandros - le glissement de corps vivant à cadavre est manifeste [70].

8. D'être vivant à statue de mort. C'est là un type de glissement très semblable au précédent, et décrit à la fois pour les hommes et pour les femmes. Admetos promet de partager son lit avec la statue d'Alkestis [71]. Laodameia étreint amoureusement la statue de Protesilaos.

9. D'être vivant à personnage onirique et/ou fantïme de personne morte. Admetos décrit les délices qu'il va éprouver à rêver d'Alkestis morte [72]. Il existe des versions du mythe de Laodameia dans lesquelles celle-ci couche, semble-t-il, avec le fantïme de Protesilaos relâché de l'Hades pour un court moment (variantes dans Roscher Lex. s. w).

Excursus. Les traditions relatives aux glissements de corps vivant à statue, rêve et/ou fantïme sont parallèles aux transformations d'un seul mythe, celui d'Iasion et de Demeter:

 

a) Demeter sous forme humaine: Hom. Od. 5, 125 sqq; Hes. TH. 969 sqq.

b) Demeter sous forme de statue: Symn. 685 sqq. GGM 1.223; Hellan. fr. 129 FHG 1.63.

c) Demeter comme fantïme: Con. 21.73].

Or, la nécrophilie, perversion peu commune, ne peut rendre compte du fait qu'Aphrodite fut tumboruchos. La pratique des rites mortuaires obscènes considérant la mort comme une noce avec Hades ou Persephone, la libération de Thésée (non mort) des enfers etc. ne constituent pas des profanations de sépulture (vol) [74]. L'épithète tumboruchos n'est ni " orphique " ni obscène: seul l'amour conjugal peut dépouiller la tombe, ne fut-ce qu'en rêve [75]. " L'amour " perverti par contre n'a pas ce pouvoir. Les perversions, et en particulier l'érotisme anal (Freud), impliquent des fixations incestueuses et des pulsions destructrices; elles sont en outre stériles. Si la sexualité existe dans l'Hades, elle ne peut être d'un point de vue psychanalytique, qu'incestueuse, anale et stérile [76].

10. D'un être vivant au néant. Malgré la dématérialisation d'Athéna, Hephaistos parvient à engendrer Erichthonios [77].

11. Les métamorphoses sont de plusieurs genres:

 

a) Peleus désire une Thetis anthropomorphe; son désir ne s'amoindrit pas cependant lors des rapides métamorphoses de celle-ci [78].

b) Demeter se transforme en jument; nullement découragé, Poseidon se transforme à son tour en étalon et la saillit [79].

c) Atalante et Meilanion furent transformés en lions. C'était là une punition, puisque, selon la croyance grecque, les lions ne pouvaient s'accoupler qu'avec des léopards: leur perpétuel désir réciproque ne put de ce fait être réalisé au niveau comportemental [80]. d) Même la métamorphose de l'amoureux, l'être aimé restant inchangé, n'abolissait pas le désir: Zeus, excité, se transforma en cygne et s'unit à Leda sous cette forme [81] (cf. Zeus et Kallisto, infra).

Peut-être est-il légitime, au moins à titre de tentative, de mettre en corrélation la persistance du désir sexuel jusque dans les métamorphoses, avec le sentiment typiquement adolescent, que nous avons évoqué plus haut, de l'autonomie (et presque de l'extériorité) de la pulsion sexuelle, voire de l'organe sexuel. Ceci, à son tour, est rendu psychologiquement et culturellement plausible par la constatation de Snell [82] que tout comme il n'existe pas de mot véritable pour désigner le corps vivant comme totalité chez Homère, le contour du corps humain n'est de même pas continu dans certaines représentations picturales grecques très anciennes; le corps est représenté comme un puzzle, construit par juxtaposition des divers membres. Snell souligne la ressemblance entre de telles représentations et les dessins des enfants dans nos sociétés modernes. Un tel morcellement de l'image de soi est présent également dans certaines névroses et autres réactions d'immaturité et se trouve techniquement désigné par le terme de fractionnement (ou de disruption) de l'image du corps (ou moi corporel), phénomène presqu'invariablement lié à un sens défectueux de sa propre identité - y compris de son identification sexuelle [83]. Cette défectuosité [84] semble aller à l'encontre de ce que nous avions dit à propos de l'égocentrisme de l'adolescent. Cependant pour le psychanalyste, c'est cette incertitude même sur sa propre identité sexuelle qui mène le sujet, de manière défensive, à l'égocentrisme [85].

Le glissement instinctuel est un phénomène psychologiquement différent. Il implique soit une modification de l'instinct sexuel, soit un glissement de la motivation par l'instinct A vers une motivation par l'instinct B.

 

1) L'inceste. Bien que toutes les formes d'amour aient la même origine génétique, l'individu mûr désexualise l'amour familial; seuls les immatures ont des fantasmes conscients d'inceste, particulièrement durant la puberté. Or il est pratiquement indiscutable que la mythologie grecque contient un nombre de cas d'inceste exceptionnellement important; ceci aussi suggère que le Grec était psychologiquement un adolescent dans ses réactions affectives [86].

2) De l'agressivité à l'érotisme. Achilleus tue Penthesileia en combat et tombe ensuite amoureux du beau cadavre [87]. Le glissement est ici, à la fois instinctuel (de l'agressivité à la sexualité) et objectal (d'une fille vivante à son cadavre). Le corps à corps de Peleus et d'Atalante [88] pose un problème plus difficile. Bien que l'érotisme se soit pas mentionné par le contexte, Peleus - et Peleus seul - se livra en d'autres circonstances à un corps à corps (érotique) avec une autre femme, Thetis. L'athlétisme grec était d'ailleurs érotique: les gymnases étaient des lieux de rendez-vous, la nudité des athlètes excitait les spectateurs (Ar. Nub. 976; cf. Plu. Rom. 20.3) et Solon interdit tant l'athlétisme que la pédérastie aux esclaves, probablement parce que les hommes glissaient facilement des activités athlétiques stériles (Plu. 724E), prudes (Ael. NA 6.1., VH 3.30) et en partie agressives (Plu. 736D) vers une activité homosexuelle.

Les exemples ci-dessus n'épuisent certainement pas la gamme de tels phénomènes dans les mythes grecs. Ils suffisent toutefois à prouver que la sexualité grecque était de type adolescent, non stabilisée et non engagée vis-à-vis de quelque genre de réaction que ce soit, du moins jusqu'à ce que l'individu moyen appartenant aux classes supérieures de la société se soit plus ou moins installé dans son rïle de mari.

Un inventaire des perversions citées dans les mythes serait bien trop long; une classification préliminaire des données en a mis en évidence quelques trente à cinquante types. Aucune autre mythologie ne semble en mentionner autant, ni aucun personnage mythique manifester des tendances aussi variées que Herakles. Je dois me contenter d'attirer l'attention sur celles qui, de façon frappante, font défaut et sur quelques réactions particulièrement insolites.

Etres surnaturels mâles: ils n'ont pas de relations sexuelles avec des animaux de leur sexe ni ne sont, à l'exception de Dionysios, passivement homosexuels (cf. supra). Ils ne commettent pas davantage l'inceste homosexuel, ne se montrent ni sexuellement sadiques ni nécrophiles. Un Satyre essaie d'embrasser le feu (A. Prom. Pyrkaeus fr. 207N.).

Etres surnaturels femelles: bien qu'elles n'aient pas non plus de rapports sexuels avec des animaux de leur sexe, elles sont plus perverties que les mâles. Artemis et ses compagnes semblent lesbiennes; Zeus ne peut aborder Kallisto qu'en se déguisant en Artemis (Eratosth. Cat. 1. p. 50 R.). La Sphinx viole les hommes cruellement (coïtus inversus, coups de griffes) et peut-étre les dévore-t-elle. Hephaistos est un " enfant du vent ") (Luc. de Sacrif. 6).

Hommes: ne pratiquent pas l'inceste ou la bestialité homosexuels dans le mythe ni ne font un usage sexuel d'objets amorphes.

Femmes: il n'existe pas d'inceste lesbien ou de relations sexuelles avec des animaux femelles. Par contre, le coït est pratiqué avec des objets amorphes et des forces surnaturelles: la foudre (Semele); une pluie d'or (Danae); l'eau (Tyro); le vent (? Oreithyia); (cf. baubon, Hérod. 6.1S sqq.) moins clairement, l'amande (la fille de Sangarios).

Animaux: étalons et chameaux mâles répugnent à commettre l'inceste, et les juments à s'unir hypogamiquement avec des baudets. Les juments sont excitées toutefois par la musique (Plu. 138B, 704F) et par l'hippomane. On doit avoir recours au travestissement pour que les taureaux acceptent de monter des femmes (Pasiphae). Les lions ne s'unissent qu'aux léopards. [89] Des étalons saillissent la statue d'une jument (Paus. 5.27.2). En Troade, en Crète et dans la Lusitanie, les juments s'unissent au vent. Les poules en Grèce et les vautours femelles en Egypte (les vautours males n'existant pas), font de même. Bien que les animaux réels pratiquent parfois l'homosexualité, les animaux mythiques ne le font jamais.

Plantes: cf. Paus. 7.17.11 et Arnob. adv. nat. 5.5.

Objets et forces inanimées: cf. supra.

Spectres, fantasmes, reues et eidola: nous avons là de nombreux exemples.

Il semble donc que les Grecs érotisaient tous les éléments tangibles et imaginaires de l'Univers, ce qui, peut-être, a contribué à l'élaboration du concept orphique d'un Eros primordial. Ces données mises en relation avec les cas de glissement évoqués plus haut, indiquent que l'imagination grecque était adolescente par son manque de discrimination et de différenciation sexuelle. Ce fait permit à la civilisation grecque d 'encourager avec succès un segment anormal de ce large éventail de comportements sexuels.

 

 


Le " Miracle " Grec

Nous avons montré dans les pages précédentes que le fait essentiel n'est pas la (pseudo)-homosexualité grecque mais un état psychologique et affectif qui rendit les Grecs capables de se conformer aux exigences culturelles relatives au comportement homosexuel. Cet état, nous l'avons dit, est celui de l'adolescence artificiellement prolongée à l'âge adulte. Il est important de souligner que l'adolescence aurait aussi bien pu être prolongée par l'encouragement de la (pseudo)-hétérosexualité adolescente [90], si les Grecs avaient été de meilleurs pères.

Le comportement homosexuel était le mauvais cïté de la psychologie essentiellement adolescente des Grecs [91]. La raison de leur choix de ce moyen particulier pour prolonger leur adolescence pose un problème historique que l'avenir résoudra ou non.

Quoi qu'il en soit, la psychologie de l'adolescent a aussi son bon cïté. On doit se garder de confondre l'arbre et son ombre - image d'autant mieux appropriée que c'est précisément à sa racine que l'arbre diverge de son ombre. Mais il est temps maintenant de tourner notre attention vers l'arbre.

On doit d'emblée comprendre que l'adolescence est un stade créatif du développement humain; l'adjectif " adolescent " n'est guère péjoratif. Friedrich Schiller disait qu'un poète est un homme qui se souvient de son enfance. Mozart resta, sur le plan affectif, un adolescent jusqu'à sa mort. Les très jeunes adolescents, précisément parce qu'ils ne sont pas prisonniers de traditions, sont souvent capables de performances extraordinaires et novatrices [92]. Les génies qui déploient plus d'audace à mesure qu'ils vieillissent sont d'ordinaire des hommes ayant conservé certaines caractéristiques de l'adolescence [93].

Par ailleurs, alors que certaines sociétés ignorent comment rendre l'adolescent socialement utile, d'autres ont cette capacité [94]. Les Grecs surent tirer parti sur le plan social de la personnalité de l'adolescent; ils encouragèrent la plupart des hommes à ne pas se " scléroser " en vieillissant, à conserver en eux les traits socialement et culturellement utilisables du psychisme adolescent. C'est la prolongation d'une charmante présomptuosité intellectuelle propre à l'adolescence qui permit aux premiers philosophes grecs la rédaction d'ouvrages naïvement dénommés: " De l'Univers " . Ces livres ont fait date dans l'histoire de la Science, non que leurs conclusions fussent correctes mais parce qu'ils proclamaient l'intelligibilité du monde et formulaient (implicitement) la notion de variables analytiques, bien que les variables concrètes qu'ils utilisèrent ne furent, bien entendu, pas les bonnes. Le " Miracle Grec " prit fin lorsqu'un de ses représentants des plus brillants et aussi affectivement des moins mûrs, réagissant contre sa propre sensibilité juvénile, figea les gracieuses volutes de la fantasmatique adolescente en un cristal déréistiquement ordonné.

Certaines sociétés, à l'exemple des termites, ne peuvent utiliser socialement que ce que tous leurs membres ont en commun. D'autres savent exploiter à des fins sociales ce que l'individu possède d'unique. Les Grecs surent utiliser à des fins socialement bénéfiques l'adolescence même de l'adolescent tout comme ils surent utiliser le talent poétique du poète et le talent plastique du sculpteur. De plus, bien avant Mill, ils découvrirent que le maximum d'individuation allait de pair avec le maximum de socialisation; que l'individu ne peut " fonctionner " de facon optimale sans le secours de la société et que la société tire à son tour le plus grand bénéfice de ceux de ses membres qui réalisent leur propre nature (arete) le plus complétement. Ce faisant, la Grèce découvrit l'individu [95]. Qu'il soit advenu aux Grecs d'utiliser les virtualités homosexuelles de l'adolescent comme moyen de prolongation des attitudes juvéniles dans la vie adulte, est un accident historique qu'il nous reste à élucider; sans doute auraient-ils pu utiliser d'autres moyens, moins anormaux et donc encore plus créateurs. Qu'ils n'y soient pas parvenu pose un problème avant tout à l'historien des cultures plutït qu'au psychologue ou au sociologue.

La seule chose miraculeuse à propos du " Miracle Grec " est qu'il soit non-miraculeux et parfaitement intelligible: il fut la socialisation réussie des potentialités créatrices de l'adolescent jusque dans la vie adulte. Des hommes comme nous-mêmes foulèrent de leurs pas l'agora et armèrent les bateaux de Salamis. Mais à l'opposé de nous, ils eurent la chance d'appartenir à une société qui valorisait la jeunesse des sentiments et de l'imagination et savait utiliser l'homme de façon humaine.

 



NOTES

[*] Article paru en anglais dans Symbolae Osloenses, Fasc. XLVII, 1967. Traduit par G. Perrolier avec la collaboration de J. Freche et revu par l'auteur.

[1]. Le grand bon sens de K.J. Dover (" Eros and Nomos ", Univ. de Londres, Inst. Cl. Stud. Bull. XI (1964) pp. 31-42) fait exception à cette règle. Divers faux-fuyants chez J.M.Gessner, " Sokrates sanctus Parderastes " . Opusc.1743-5 (nouvelle éd.1877); J.A. Symonds, " A problem in Greek Ethics ", 1901; E. Bethe, " Die dorische Knabenliebe ", Rh. Mus. LXII (1907) pp.438-475; E. Carpenter, " Intermediate types ", 2, 1919; J.A.K. Thomson, " Greeks and Barbarians ", 1921; M.E.H. Meier et R.L. de Pogey-Castries, " Histoire de l'Amour Grec dans l'Antiquité ul, 1930; H. Licht, " Sexual Life in Ancient Greece ", 1933. Cf. également la théorie selon laquelle Sappho fut maîtresse d'école et sa discussion in G. Devereux, " The Nature of Sappho's Seizure in Fr. 31 LP, as Evidence of Her Inversion ", Class. Quart. Vol. 20 pp. 17-31,1970.

[2]. En fait, le psychanalyste cherche le moyen de transformer les mauvaises choses en bonnes choses. Le complexe d'èdipe personnel (et banal) de Sophokles ne l'inléresse pas; il essaie de comprendre comment et pourquoi Sophokles - et non pas Strepsiades -- s'arrangera pour transformer son conflit personnel en un chef-d'œuvre en le sublimant, de même qu'un botaniste essaie de comprendre comment une rose absorbe du fumier et produit de l'essence de rose.

[3]. La raison de l'insuffisance du paternage chez les Grecs est un probléme d'histoire culturelle dont la discussion n'a pas sa place ici. Iolaos abandonna l'homme faible qu'était son pére Iphiklos et devint l'eromenos et le protégé d'Herakles.

[4]. Si un phénomène admet une explication, il en admettra également d'autres qui rendent compte tout aussi bien de ses particularités (H. Poincaré, " ElectricitX et Optique ", 1901). Deux ensembles de postulats desquels les mêmes conclusions peuvent être tirées, sont équivalents (H. Poincaré, " The Foundations of Science ", 1913).

[5]. G. Devereux, Ethnopsychanalyse Complémentariste, chaps. 4 et 5, 1972.

[6]. Pour une telle analyse du cas d'une sorcière lesbienne, cf. G. Devereux, Mohave Ethnopsychiatry and suicide2, 1969, pp 416-425; Ethnopsychanalyse, op. cit.,.p. 16 sq.

[7]. Xenophon ne réussit probablement pas à actualiser cette potentialité. De méme, bien qu'il fut indispensable pour un indien Crown d'avoir au moins une vision, un membre de la tribu ne parvint pas à en obtenir et dut se contenter d'un réve. F. Linderman, " American; The Life Story of Great Indian ", 1930.

[8]. G. Devereux, " Essais d'Ethnopsychiatrie Générale ", Gallimard, 1970,chap. 1.

[9]. Des injections d'hormone mâle ne font qu'intensifier la pulsion sexuelle de l'homosexuel sans en modifier la direction. De même, certains névrosés ne peuvent se comporter hétérosexuellement que s'ils s'adonnent simultanément à des fantasmes pervers.

[10]. Les sources concernant la perversion d'Agathon sont énumérées dans W. Schmid, Gesch. gr. Lit. 1.3.846 et n.1.

[11]. Dover, op. cit. clarifie parfaitement la question.

[12]. Je traite du problème dans plusieurs publications, la plus récente étant G. Devereux, "Mohave Ethnopsychiatry", op. cit. passim.

[13]. Par exemple celle de la cigale, cf. Plu. Amat. 767D; moins clairement: Pl. Smp. 191B. Sous certains aspects, la sexualité pubertaire ressemble à la " perversité polymorphe " de l 'enfant, cf. Freud " Trois Essais sur la Théorie de la Sexualité", trad. fr. 1967, chap. i.7, 2.5, 3.5 etc.)

[14]. E. Med. 1057 sqq. (cf. A. Rivier, "L'élément Démonique chez Euripide, Entretiens Hardt vi (1960) pp. 45 sqq.). Mais il s'agit là d'une bonne description clinique et non pas, comme Rivier le pense, d'un indice révélateur des théories psychologiques d'Euripide.

[15]. Le baudet bien nourri de Priène: Archil. fr. 102D - 97 Bgk184 Lass. Les baudets hyperboréens: Pi. P. 10.36. Spartiates et athéniens: Ar. Lys. passim, etc.

[16]. Apollod. 1.4.4. Peut-étre pouvons-nous également considérer le vautour femelle comme spontanément excitable, puisque le vautour mâle était censé ne pas exister; cette croyance est toutefois d'origine égyptienne, cf. Plu. Quaest. Rom. 93, 286c.

[17]. Cela est confirmé par l'assertion de Teiresias selon laquelle la jouissance de la femme est plus grande que celle de l'homme. Apollod. 3.6.7. Tzetz. Lyc. 682. La jouissance de l'adulte mature est plus grande que celle de l'adolescent ou du perverti. Les femmes spartiàtes sont peut être là une exception. Plu. Lyc.18.

[18]. Ce phallo-centrisme est bien mis en évidence par Licht, op. cit. p. 416 (Sathon et Posthon, comme "petits nomsn affectueux pour l'eromenos) bien qu'il néglige de l'opposer au pugé-centrisme. Ar. Nub. 976 confirme cetteconstatation :l'erastesestexcitéparl'empreinte des parties génitales de l'eromenos sur le sable. (LSJ ne donne pas ce sens du mot "eidolon") (Mais cf. Ar. Nub. 1014: un bon garqon aura de larges fesses et un petit pénis). Pour Arcesil. (= Plu. Quaest. Conu. 7.5.705E) sont également condamnables l'intérét porté au devant et celui porté au derrière.

[19]. Le phallo-centrisme pubertaire ressemble au stade phallique infantile, cf. Freud " Trois Essais... " op. cit. passim.

[20]. Strat. AP 12.4.7-8; la source est tardive, l'opinion probablement ancienne.

[21]. Un exemple nous en est donné par les premiers poèmes d'amour d'Archil. à Neoboulé; il imagine ce qu'il ressentirait étre dans ses bras et non ce qu'elle éprouverait dans les siens. Sappho, elle aussi, était égocentrique: elle alla, à l'occasion, jusqu'à s'identifier avec le fiancé de sa bien-aimée (fr. 31 LP - 2D - 2 sgk). Cf. G. Devereux, "The Nature of Sappho's seizure..." op. cit. passim. Faire l'éloge du bien aimé n'implique en rien le moindre intérêt pour ses sentiments. Ce n'est là qu'un "do ut des". Plutarque, homme mature, comprit la récipro cité des sentiments (Plu. Coniag. praecept. 31, 142D); de même Homère (Od. 6.12.5), qui ignore pratiquement l'homosexualité.

[22]. La variété presque incroyable des " partenaires " sexuels dans les mythes grecs est énumérée plus loin.

[23]. Dover, op. cit., passim, établit dsintéressantes comparaisons entre les filles modernes (et spécialement les américaines j et les garcons grecs mais ne mentionne pas que le comportement adolescent n~est pas un engagement sexuel, mais une alternative possible.

[24]. R.R. Greenson, " Homosexualité et Identité Sexuelle ", Rev. Fr. de Psychanalyse XXIX (1965) pp. 343-348; G. Devereux, "La Renonciation à Pldentité, Défense contre I 'Anéantissement " ibid . XXXI (1967) pp. 101-142.

[25]. Hom. Il. 24.348, Od. 10.275 sqq; Pl. Prot. 309b; Skat. AP. 12.4. Avec une grande pénétration, bien qu ~indélicatement, Ar. Nub. 978 substitue à la barbe le poil pubien. Néanmoins seul zeus peut aspirer à lXamour des jeunes gens de dix sept ans. Or à cet âge, les méditerranéens de race blanche ne sont pas la plupart du temps " duvetés " mais barbus. Cela implique-til une adolescence biologique plus longue de la "race" greque? Un médecin, P. Richer, "Le Nu dans l'Art" (1926) 5. 291 sqq. (cf. M. Deleourt, "Hermaphrodite", 1958 pp. 99 etc.) affirme que les statues grecques "désaccentuent" le dimorphisme sexuel. Je suis en désaccord avec cette vue au moins en ce qui concerne les statues et les vases anciens antérieurs à 404 av. J.C. J'admets qu'il existe certaines races (par exemple la race mongole) dont le dimorphisme sexuel est moins accentué. (Je note en passant, que j'espère montrer un article que Hp. de aer. 19.42.43 devrait étre corrigé par la transposition de certains mots en: les hommes ressemblant aux femmes, les femmes ressemblant aux hommes.) Le dimorphisme sexuel de l'espèce humaine est plus grand que celui de la plupart des mammifères. Du point de vue biologique, c'est là un paradoxe. En effet, considérer l'homme comme un " singe fœtal " est un des lieux communs de la biologie. La fœtalisation de l'homme est même à la racine de sa nature humaine, cf. L. Bolk " Das Problem der Menschwerdung " 1926. Pourtant les fœti et même les petits enfants montrent peu de dimorphisme sexuel. Ce paradoxe n'a jamais été élucidé de façon satisfaisante par les biologistes.

[26]. On disait d'Agathon l'efféminé, Ael. VH 13.4; Plu. 177A-B, 770 c: " même l'automne des beaux est beau ".

[27]. C. Roheim, " Psycho-Artalysis of Primitive Cultural Types ", Intern. J. of Psychoanalysis, XIII (1931) pp. 175 sqq., pour une analyse de ce concept.

[28]. W. La Barre, " Social cynosure and Social Structure ", J. of Personnality, XIV (1946) pp. 169-183, et (in) D.G. Haring, (éd.), " Personnal Character and Cultural Milieu (3)", 1956 pp. 535-546 définit ce concept.

[29]. X. Smp. passim, dépeint en de nombreuses scènes de brillants adultes se comportant comme des adolescents à la sortie de l'école.

[30]. G. Devereux, " Therapeutic Education ", 1956 pp. 228 sqq.

[31]. Déjà en 1940, N.J. Demerath rédigeait une thèse de Ph. D. en sociologie (qui demeura non publiée, Harv. Univ.) sur la " youth culture " américaine. A Pépoque de Balzac la jeunesse d'une femme prenait fin à trente ans, à celle de K. Michaelis, elle se terminait à quarante; de nos jours les femmes âgées de cinquante ans s'habillent et se comportent comme des jeunes filles; des prix Nobel se vêtissent comme des collégiens etc. L'éternel étudiant allemand d'avant 1914 représente un type semblable.

[32]. Pl. La. Init. Alc. 1. 122B.

[33]. X. Oec., passim.

[34]. Ce sont là des faits. Si nous ne pouvons admirer Sokrates et les Grecs qu'en altérant les faits, nous ne les admirons pas vraiment. L'idéalisation est un rejet subtil de la personne réelle.

[35]. ceci n'est pas un fait " naturel " et dont l'explication va de soi. L'adulte australien subincisé est passif, le garçon non subincisé, actif cf. Roheim op. cit. pp. 38 sqq. Les pervertis passifs plus agés préfèrent souvent de jeunes partenaires (actifs), ll est possible qu'Agathon fut de ce type.

[36]. R. Flacelière (" L'Amour en Grèce ", 1960, p. 84) a pressenti l'importance de ce passage, mais n'étant pas psychologue, n'a pu l'exploiter pleinement.

[37]. Thésée, semble-t-il, n'éleva pas Hypollitos qui apprit, de façon paradoxale, le comportement " masculin " de modèles féminins imitant des hommes: Artemis et sa mère Amazone. C'est là l'essence de la tragédie d'Hyppolitos. Le fantasme, digne du " Schlaraffenland " (Dover), d'un père reprochant à son ami de ne pas "peloter" son fils (Ar. Av. 137 sqq.) n'est peut-étre pas si extravagant du point de vue de la psychologie des profondeurs. Le déplacement du paternage non-érotique existe dans la société matrilinéaire des Trobriandais: un homme élève son neveu utérin, qui est son héritier; son propre fils est élevé et nourri par son oncle maternel. B. Malinowski, " The Father in Primitive Psychology", 1926; id. " The Sexual Life of Savages "3, 1932. Dans cette société le père n'est pas " apparenté " à son fils, puisque le coït n'est pas considéré comme cause de grossesse. cette nescience, et également celle des Aranda patrilinéaires, peut toutefois être une fiction sociale, cf. G. Roheim, " The Nescience of the Aranda", Brit. J. Med. Psychol. XVII (1938) pp. 343-360.

[38]. Notamment à travers le cas d'Herakles et d'Hylas ainsi que de lolaos, etc. Herakles n'était pas seulement sexuellement polyvalent, il se comportait aussi comme adolescent, ce que firent également les chevaliers de la Table Ronde et de nombreux autres héros mythiques. Le contraste entre Hector et Achille, quant à la maturité est stupéfiant. De même Apollon, l'imberbe, était-il considéré comme un père ne convenant pas à Asklepios, quant à lui bien barbu, Luc. Iupp. Trag. 26, cf. aussi E.J. et L. Edelstein " Asclepius ", 1945 i, testt. 683-684. Le seul Olympien fonctionneliement marié est Zeus; les mariages des autres Olympiens sont, d'un point de vue fonctionnel, des " passades " non-opérationnelles même au regard des critères modernes de la " vie de bohème ".

[39]. Un père Masaï fut puni et vit sa maison saccagée parce que son couard de fils avait poussé de hauts cris lors de sa circoncision, F Merker, "Die Masai", 1904. A Sparte, l'erastes était puni pour la lâcheté de son eromenos, Plu. Lyc. 18.

[40]. Peut-être peut-on en retrouver des échos affaiblis dans certaines versions du mythe d'èdipe (cf. G. Devereux, " Why èdipus killed Laïus ", Intern. J. of Psycho-Analysis XXXIV (1953) pp. 132-141; cf. deux rêves rapportés par Artémidore 4.4.

[41]. Les contes primitifs et même les mythes d'origine de nombreuses aires culturelles font état d'un jeune marié stupide auquel son père (ou beau-père) doivent montrer comment pratiquer le coït avec sa femme. Il arrive que père et fils partagent la même femme - parfois incestueusement (fille = sœur) et cela sur l'initiative du père. (S.K. Weinberg " Incest Behavior ", 1955), la Nouvelle Comédie badine souvent avec de telles situations. Quelque chose de comparable à la scène primitive est suggéré par S. Trach. 539 sqq. où Herakles, Deianeira et lole sont imagés sous une même couverture. Cf. également: Herakles donnant lole à Hyllos et Mégara à lolaos. Paris et Deiphobos aimèrent tous deux Antheus et épousèrent Hélène, Tzetz. Lyc. 139.

[42]. Dover, op. cit. p. 42, n. 35, critiquant Bethe, op. cit., et R. Langeborg, "Die platonische Liebe", 1926 p. 43, pense que seules les accusations d'Epiphanios (Haer. 25.2.4, 3.2. Holl.) contre les Gnostiques font allusion à une telle magie. Pourtant une telle magie est très répandue. On la trouve même en Suisse, à notre époque, où les " fidèles " buvaient l'urine de deux " prophètes " (H. Rorschach, " wei schweizerische Sektenstifter ", 1927). Il est tout juste concevable que le fantasme infantile d'être " contaminé " par la vertu de Sokrates sous-tende la tentative d'Alkibiades pour le séduire (Pl. Smp. 217 sqq.) Voir plus loin n. 45 et également Ael. VH 3.10. (cf Eispnélos).

[43]. Tous les garçons Keraki sont soumis à de telles pratiques de la part des adultes. La technique en fut inventée et appliquée pour la première fois dans les temps mythiques par un père que l'état faible, chétif et constipé de son fils angoissait. De nos jours, cette tâche est assumée par d'autres hommes; elle permet aux garçons de grandir et de devenir forts. F.E. Williams, " Papuans of the Trans-Flyn ", 1936 pp. 158, 308-309.

[44]. Cf. par exemple, G. Devereux, " Der Begriff des Vaterschaft bei den Mohave Indianern ", Zschr. f. Ethnologie, LXIX (1937)

pp. 72-78; id " Mohave Pregnancy ", Acta Americana, VI (1948) pp. 89-116. Cf. Paus. 7.17.11; Arnob. adv. nat. 5.5.

[45]. Un patient de cette catégorie, intellectuellement inhibé jusqu'à l'incapacité totale, bien que possédant une haute intelligence, avait le fantasme qu'il deviendrait, à l'image de son psychanalyste, productif sur le plan intellectuel, si on l'autorisait à faire la fellation à ce dernier (Archil. fr. 248 Lasserre). Un névrosé couchait avec la maitresse abandonnée d'un artiste célèbre, espérant, comme son fameux prédécesseur, puiser quelque " inspiration " de cette relation.

[46]. Hdt. 1.60 est exceptionnel parce que fonctionnel. Pour une différenciation ostentatoire voir le Coran, Surah 109; G. Vajda, " Juifs et Musulmans selon le Hadît ", J. Asiatique CCIX (1937) pp 57-127. Théorie générale: G. Devereux (et E.M. Loeb) Ethnopsychanalyse, op. cit., chap. 8.

[47]. Plu. Sol 1.3. mais cf. Artemid. 1.78.

[48]. Je n'ai malheureusement pas mentionné ce fait important dans mon analyse des réciprocités psychologiques entre Spartiates et Ilotes, cf. G. Devereux, " La Psychanalyse et l'Histoire: une Application à l'Histoire de Sparte " Annales XX (1965) pp. 18-44. On n'attribue aucun eromenos à Cléomènes I qui semble avoir largement fréquenté les Ilotes, cf. G. Devereux et W. G. Forrest: " La folie de Cléomènes " en préparation.

[49]. Les Tonkawa restèrent tenacement attachés au cannibalisme dans une aire culturelle non cannibale, bien que cela incitât leurs voisins plus puissants, les Apaches et les Comanches, à les exterminer: R. Linton, Cours d'Anthropologie donné à l'Université de Californie, trimestre d'été 1937.

[50]. Tous les Mohaves étaient des guerriers (A.L. Kroeber, " Hand book of the Indians of California " 1925, pp. 751 sqq.); peut-être 0,5% d'entre eux étaient homosexuels. Pourtant l'homosexualité faisait l'objet d'une institutionalisation aussi extensive que la guerre cf. G. Devereux, " Institutionalized Homosexuality of the Mohave Indians ", Human Biology IX (1937) pp. 498-527 (= version revue et corrigée dans H.M. Ruitenbeek, op. cit.).

[51]. Les rapports ethnographiques consacrent notoirement plus de place aux pratiques étranges qu'à des choses aussi vitales que la nourriture et le gîte. Les sources grecques ont un préjugé similaire. Pour une discussion générale de telles distorsions systématiques, cf. G. Devereux, " Essais ", op. cit., chap. XVI.

[52]. Concept défini par G. Devereux dans Ethnopsychanalyse, op. cit. chap. 1.

[53]. On prétend que les hommes prostitueraient leur femme à un tyran mais qu'ils ne lui prostitueraient jamais un eromenos. Cette remarque est particulièrement significative puisqu'elle fut faite par Plutarchos (760B), qui était surtout hétérosexuel.

[54]. Pour une exhibition caricaturale d'esprit chevaleresque homosexuel en milleu pénitencier cf. G. Devereux et M.C. Moos " The Social Structure of Prisons and the Organic Tensions ", J. Crimin. Psychopath. IV (1943) pp. 306-324. Il s'agissait là d'une " exhibition ostentatoire ": cf. Th. Veblen, La Théorie de la Classe des Loisirs, (1970).

[55]. Il est frappant, d'un point de vue psychiatrique, qu'à l'exception d'un garcon, Platon n'ait jamais été amoureux de personne.

[56]. Nous trouvons là l'inverse de l'observation de Freud ("Trois Essais..." op. cit. p. 168 éd. fr.) selon laquelle l'homosexuel, in statu nascendi, transfère l'excitation originellement provoquée par une femme, sur un homme. Tout système de parenté classificatoire présuppose une " substituabilité ": une jeune femme sedang disait qu'à des fins conjugales et coïtales, elle-même et sa cousine étaient une seule personne Sur l'homosexualité dans la parenté, cf. Georges Devereux, Ethnopsychanalyse, opus cité, chapitre 7. Les Nambikwara n'autorisent les jeux homosexuels qu'entre le fiancé d'une fille pré-pubère et le frère ainé de celle-ci, Claude Lévi-Strauss, " Tristes Tropiques ", 1955. Exemple de glissement de femme à femme: Bellerophon, Stheneboia et sa sœur; Theseus, Ariadne, Phaidra, etc.; ânesse ou jument vs. femme: Aristokles fr. 1, p 161, Paradoxogr. Westerm et Plu. Parall. 29, 312 D sqq.; (Onoskelis); Plu. ibid. (Epona). Les palefreniers devraient être mariés (Plu. Conv. Sept. Sap. 3, 149 E); cf. Ies Incas interdisant aux célibataires de garder les troupeaux de lamas (communication personnelle du Pr. La Barre). Même la " méprise " de Pan prenant Herakles pour une femme, montre l'indifférenciation. S. Freud (" Psychopathologie de la Vie Quotidienne ", chap 5-11) prouve que les actes manqués ont un but inconscient. Pour un sens fondamental de la continuité de soi-même de la folie à la normalité, S. Aj.; de la femme à la chienne avec retour à la femme: Callim. fr. 100h Schn. Il, p. 356). Dans ces exemples, le sens de l'identité n'est pas perdu.

[57]. Apollod. 1.8.1.;sch. A.R. 1.1212.

[58]. En tant que coutume: A. L. Kroeber, " The Patwin and their Neighbours ", Univ. Calif. Publ. Amer. Archeol. Ethol. XXIX, pt. 4 (1932), p. 272; G. Devereux, " Mohave Ethnopsychiatry ", op. cit. p. 283 et n. 32. Luc. Am. 14,17- Apul. Met. 4 fin.

[59]. Chez les Sedang Moï du Sud-Vietnam, le coït anal est pratiqué avec des filles nubiles (fertiles), le coït vaginal avec des filles prépubères (stériles). (Mes propres observations sur le terrain). Cf. Le comportement de Peisistratos (Hdt. 1.61)

[60]. Musachné = fellatrix (ainsi Lassere, Archil. fr. 249; pas chez LSJ mais plausible, puisque même les primitifs connaissent cette pratique). Le fait que d'une part, comédies et pièces satyriques (cf. Preller-Robert Gr. Myth. 1.223 sqq. et nn.) aient traité de l'abandon de l'aulos par Athéna et que d'autre part, l'on trouve dans le langage obscène moderne (par exemple en francais) jouer de la flûte = fellation, peut expliquer pourquoi le fait de jouer de la flûte fut méprisé par certains Grecs (Arist. Pol. 4.7. p. 1340a30; Plu. Alc. 2). Cela est compréhensible, d'un point de vue psychologique.

[61]. Plu. Lyc 15. 8.

[62]. M. Delcourt, Hermaphrodite, 1958, chap. 1. Les garcons portaient les cheveux courts; les guerriers les avaient longs (Plu. Lyc. 16.6, 22.1). Porter les cheveux courts faisait partie intégrante de la discipline; le cheveu ras peut donc symboliser " l'humiliation " des vierges fières - ou des juments (S. fr. 659 P; X. Eq. 5.8.; Ael., NA 2. 10, 11.18, cf. en général G. Devereux, " The Abduction of Hippodameia ", Studi et Materiali XXXVI (1965) pp. 3-25, spécialement p. 13 et nn. 22, 23). (Pouliche = fille est banale).

[63]. Il est même possible qu 'un but secondaire ou un épiphénomène de l'athlétisme féminin à Sparte, fut de donner aux filles l'apparence de garçons. Cf. Ch. Baudelaire qui conseillait à l'amant d'une fille plate de poitrine de se réjouir d'avoir un ami (au masculin) " avec des hanches ".

[64]. Dans une tribu d'Afrique du Sud où le fils hérite de ses belles-mères en tant qu'épouses, on l'aide à glisser vers son rïle nouveau de partenaire sexuel de femmes précédemment tabous, en l'encourageant à leur faire publiquement la cour, c'est-à-dire à donner du tabac à ses belles-mères. Cela l'aide à surmonter sa timidité et ses inhibitions. En un sens, ce comportement, au même titre que le déguisement masculin des mariées spartiates, est un rite de passage très atténué, pour l'homme.

[65]. Xanth. fr, 19 FHG 1.39; Hesych. Mil. fr. 47 FHG 4. 171, rapportent la " castration " d 'esclaves femmes qui étaient alors utilisées (sexuellement, on présume) comme si elles étaient des eunuques mâles (= catamites). Il est, bien entendu, improbables que les chirurgiens lydiens aient pu exécuter une authentique ovariectomie, comportant une laparatomie; s'ils le firent, le taux de mortalité dut étre effrayant. Je soupçonne qu'ils détruisaient simplement une partie du cervix et de l'utérus, per vaginam, comme le firent certains Australiens avec des femmes destinées à être des prostituées tribales, cf. H. Ploss, M. et P. Bartels, " Das Weib ", etc. 1927. Cf. la description faite par Suétone (Vit XII Caes, Nero), de la tentative pour transformer Sporus en femme. Une opération de type McIndoe étant inconcevable, seule une castration totale (pénis et testicules) fut probablement pratiquée sur Sporus.

[66]. G. Devereux, " The Nature of Sappho's Seizure... " op. cit. passim.

[67]. Pour une explication psychiatrique de ces cas, cf. D. Kouretas " Trois cas de Nécrophilie dans l'Antiquité ", C.R. Congr. de Neurol. et Psychiatr., Strasbourg, 1958. Je ne tiens pas compte ici du troisième cas - les embaumeurs égyptiens (Hdt. 2.89), qui ne relève pas de la Grèce, mais j'ajoute: Achilleus et Penthesileia.

[68]. Nécrophilie: Hdt. 5.93; meurtre: D.L. 1.94; inceste de Periandros: Plu. 146 D; Parthen.Erot. 31;D.L. 1.96. Kambyses l'incestueux tua sa sœur-épouse enceinte de la même manière: 3.32.33. Nero et Poppaea, Suet. loc. cit.

[69]. Parthen. Erot. 31. On note le rapprochement récurrent de l'inceste et de la nécrophilie; c'est là une observation psychiatriquement valable.

[70]. La nature primitive-archaïque de ce glissement est attesté par le fait que les babouins ne reconnaissent pas la mort; les mâles copulent avec des femelles mortes et repoussent violemment toutes tentatives pour retirer leurs cadavres de la cage. Sir S. Zuckerman, " The Social Life of Monkeys and Apes ", 1932, pp. 298 sqq.

[71]. E. Alc 348-354.

[72]. E. Alc. 354-356 cf. le rêve érotique de Penelope, Hom. Od. 20.88 sqq.; le rêve de Zeus, Paus. 7.17 10 (Zeus éveillé: Arnob. Adv. nat. 5.5).

[73]. Je ne tiens pas compte de: Ov. Met. 9.422 sqq. qui n'est plus mythe mais du " Biedermeier": Demeter n'est pas davantage déesse que Iason n'est héros et leur accouplement n'est pas un " hieros gamos ".

[74]. Plu. Num. 12; D.H. AR. 4.15.5; Varro LL 6.47, Clem. Al. Protr. 2.38. cf. O. Gruppe, "Gr. Myth. Rel." 2.864 sqq., qui rejette avec raison Aphrodite = celle qui récupère et rend les cadavres. Mais la translation de l'âme de Berenike (Théocr. 17.48) et de celle de Caesar (Ov. Mét. 15.843) aux cieux n'est (malgré CIL 6.3.21521. 29) que flagornerie. Pour des rites mortuaires obscènes: H. Damm "Inseln um Truk", p. 154. A. Kramer, p. 317, "Truk", tous les deux dans: G. Thilenius (éd), " Ergebnisse der Südsee-Expedition 1908-1910 ".

[75]. Eurydike (où Orpheus est encore hétérosexuel); Alkestis, Protesilaos. Pour l'amour conjugal grec: Hom. Od.; X. Smp. fin; Oecon; Plu. souvent. Principalement Ar. Lys.: les hommes frustrés veulent leurs femmes et non des prostituées ou des catamites.

[76]. On peut se demander, puisque dans la croyance primitive, le coït avec des fantïmes tue ou paralyse (= immobilise), si Theseus (= Peirithoos, Roscher, Lex. s.vv.) pratiquait le coït anal avec Persephone (= Melaine, Bruchmann, epith. deor. p. 192). Si cela est vrai, Melaine, in Phot. est défendable. Sexualité = mort (plu. 65F, 717F, Alex. 22.3) est névrotique; la victoire d'Hades sur Eros (Claud. 33.26), représentée sur un sarcophage, ne l'est pas.

[77]. Antig. Caryst. Mirab. 12. B. Powell, " Erichthonius and the Three Daughters of Cecrops", Cornell Stud. Cl. Phil. XVII, 1906 donne toutes les versions.

[78]. Cf. les versions citées dans Roscher, Lex., s.vv. Thetis, Peleus.

[79]. Paus. 8.25.3.

[80]. Paus. 3.24.2; Apollod. 3.9.2. Callim. Dian. 216;Hyg.fab. 99 etc.

[81]. Le manque d'espace m'empêche de discuter les racines inconscientes du fantasme de métamorphose qui représente une renonciation défensive à sa propre identité. Cf. G. Devereux, " La Renonciation à l'ldentité " op. cit.

[82]. B. Snell :" The Discovery of the Mind "2, 1960, pp. 5 sqq.

[83]. Un patient sévèrement névrosé ne pouvait dire: " ma tête, mon pénis "; il ne pouvait parler que de " la tête " etc. Son sens de l'identité sexuelle était incomplet lui aussi et son image corporelle n'avait qu'une cohérence minime. Il fantasma une fois, qu'il échapperait au " monstre " en se désagrégeant et en se transformant en d'innombrables billes (comme celles dont usent les enfants pour jouer); le monstre ne pourrait jamais toutes les trouver et de ce fait, il y aurait au moins quelques parties de lui-même qui échapperaient à la destruction, cf. G. Devereux, " La Renonciation à l'ldentité ", op. cit.

[84]. Odysseus finit par être assez ébranlé par les étourdissantes métamorphoses qu'Athéna lui fit subir (Hom. Od. passim). Peut-être pouvons-nous rapprocher de ces problèmes d'identité, le rïle énorme que joue " l'anagnorisis " déjà chez Homère. Pour une analyse détaillée de la reconnaissance d'Odysseus par Penelope, cf. G. Devereux, "Penelope's Character", Psychoanalytic Qutrt. XXVI (1957) pp. 378-386 (=Platon I,1958, pp. 3-9).

[85]. " Aime ton prochain comme toi-même " implique de toute évidence que l'on ne peut l'aimer et le reconnaître comme un être humain sui iure que si l'on est d'abord capable de s'aimer soi-même et que l'on a le sens de sa propre identité. Cf. E. Fromm, "Escape from Freedom", 1941, passim.

[86]. Le chaos familial de l'âge "héroïque" fut répété par celui des dynasties hellénistiques. Cela confirme le point de vue de M.P. Nilsson (" The Mycenaean Origins of Greek Mythology ", 1932) selon lequel de nombreux mythes grecs naquirent dans une période de chaos et de désintégration sociale. Cf. C.M. Bowra, " Tradition and Design in the lliad ", 1930, pp. 243 sqq.

[87]. Procl. Chrest. 2, Apollod. Epit. 5 .1, etc.

[88]. Apollod. 3.9.2., Epit. 13.2.

[89]. La bestialité homosexuelle est mentionnée dans le folklore: Ael. NA 4.SiG; cf. peut être Ael. NA 6.15, etc.

[90]. Cela est couramment pratiqué aux Etats-Unis.

[91]. De même que la (pseudo)-hétérosexualité est le mauvais cïté d'une situation psychologique du méme ordre aux Etats-Unis.

[92]. Je cite presque au hasard, Mozart, Rimbaud, Keats dans le domaine des arts, Pascal et Galois en mathématiques; Alexandre et Condé en stratégie. Pour des raisons exposées par E.T. Bell ( " Men of Mathematics", 1937; chapitre sur H. Poincaré), les découvertes contemporaines les plus réellement noluatrices en physique sont faites par des hommes extrèmement jeunes.

[93]. Je cite de nouveau presqu'au hasard " la dernière manière de Turenne " qui se comporta toute sa vie en adolescent timide et bredouillant; de même les derniers quatuors de Beethoven, qui fut un adolescent rebelle et grossier tout au long de son existence et, bien entendu, l'Euripides des "Bakchantes". La pensée de Freud devint plus audacieuse avec l'age et son célèbre biographe et disciple E. Jones, a mis en évidence lors d'une conférence, le cïté naïvement juvénile de sa personnalité.

[94]. Dans de nombreuses sociétés primitives, les adolescents fournissent le personnel des entreprises militaires et de travaux publics; ils sont même, dans des groupes encore plus nombreux, danseurs, organisateurs de fêtes et créateurs de tout ce qui rend la vie moins monotone, moins étroite et moins routinière.

[95]. De nombreuses sociétés ne parviennent pas à faire cette découverte, cf Mauss, " Une Catégorie de l'Esprit Humain: La Notion de Personne, celle de 'Moi'." (Huxley Lecture). J. Roy. Anthrop. Inst. LXVIII (1938), pp. 263-281 (Mauss, Sociologie et Anthropologie. 1950, pp. 331-362); G. Devereux, Ethnopsychanalyse Complémentariste", chap. VI, 1972.)

   
   
   
   
   
 
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