Lu
dans la presse
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mis à
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samedi 22 mai, 2010 10:36
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propos du Crépuscule d'une Idole de Michel Onfray
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Dans le Nouvel Observateur du 21/05/2010 |
Pourquoi j’aime le livre d’Onfray
par Pascal Bruckner |
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BibliObs.-
Que pensez-vous des réactions, très violentes, suscitées
par le livre de Michel Onfray dans l'ensemble des journaux français
?
Pascal Bruckner.- Il y a d'abord une jalousie inhérente
au milieu intellectuel, qui explique cette violence face à son
succès. Un succès dont, pour ma part, je me réjouis,
parce qu'Onfray est un gros bosseur. En pratiquant une philosophie au
bazooka, souvent sans nuances, il a touché quelque chose de profond,
qui est la sclérose intellectuelle du monde analytique aujourd'hui.
Dans les années 1970, il y avait une circulation entre différents
courants, et une production théorique de premier plan ; le livre
d'Onfray a réveillé un monde assoupi et dogmatique.
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BibliObs.- Vous avez donc apprécié
son livre ?
P. Bruckner.- Oui, même si sa volonté
de tuer le père Freud est évidemment assez cocasse :
il démontre malgré lui la pertinence des hypothèses
freudiennes. En réalité, ce qu'on pourrait plutôt
lui reprocher, c'est son côté Charles Bronson, dans «
Un justicier dans la ville ». Il y a chez lui la tentation d'un
nettoyage éthique rétrospectif : du haut de notre position
actuelle, juger les auteurs du passé risque toujours de passer
pour une forme d'inquisition a posteriori, pour une façon assez
arrogante de verser dans une sorte de maccarthysme philosophique.
D'autre part, quand il s'en prend à la « France moisie
», il exagère un peu : il est lui aussi un produit de
Saint-Germain-des-Prés, je suis bien placé pour le savoir
- nous avons le même éditeur ! Sa vocation de justicier
le place donc dans une position délicate. Mais au-delà
des polémiques, ce que je retiens, c'est qu'il m'a donné
envie de relire Freud. Et puis un homme qui suscite de telles passions
ne peut être complètement mauvais, il ne peut pas avoir
tout faux. Ce qui serait intéressant, à présent,
c'est que Michel Onfray fasse la même chose avec Nietzsche,
en examinant de près ce qui a permis au nazisme de se réclamer
de sa pensée...
BibliObs.- Son succès public, qui est assez
considérable, ne vous surprend donc pas...
P. Bruckner.- C'est précisément parce
qu'on lui tape dessus que tout le monde l'achète. Son seul
défenseur est l'un des auteurs du « Livre noir de la
psychanalyse ». Ça le rend sympathique, ce rôle
de bouc émissaire. Ce qui aurait pu lui arriver de pire, c'est
l'indifférence... Il a d'ailleurs synthétisé
beaucoup de critiques du freudisme qui existaient avant lui, chez
Emmanuel Levinas, chez René Girard ou même chez Roland
Barthes. Simplement, il leur donne la forme d'un uppercut théorique...
Au fond, je pense que beaucoup de philosophes se mordent les doigts
de n'avoir pas eu cette idée avant lui !
BibliObs.- Est-ce votre cas ?
P. Bruckner.- Non, pas du tout ! Quand il y a un
succès, je crois qu'il faut s'incliner sans trépigner
comme un enfant à qui on a piqué son jouet. Or il a
bel et bien levé un lièvre, reconnaissons-le.
BibliObs.- Est-ce sous cet angle que vous avez lu
sa récente passe d'armes avec Bernard-Henri Lévy, dans
les colonnes du « Point » ?
P. Bruckner.- Comme souvent quand il y a un règlement
de comptes entre intellectuels, c'est d'abord parce qu'ils ont beaucoup
de choses en commun : BHL a été l'éditeur d'Onfray,
et j'ai toujours été frappé par leur mimétisme
physique ; pour la diction, notamment, je pense qu'Onfray a beaucoup
pris à Lévy. Leur querelle est à bien des égards,
je crois, une querelle d'orgueil, une querelle d'ego. Mais peu importe
: l'essentiel, c'est de bien considérer que ce genre de débat
ne peut avoir lieu qu'en France. C'est le dernier lieu au monde où
on peut s'écharper pour des idées ! Comme au XVIIIe
siècle, en somme, où les philosophes des Lumières
s'insultaient déjà très violemment...
Propos recueillis par Grégoire Leménager
dans le cadre de l'enquête sur Michel Onfray et Bernard-Herni
Lévy
publiée par «le
Nouvel Observateur»
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Il déparle…
Il révèle ici la vérité du monde intellectuel
français, placé sous l'empire de la crainte du ridicule
— monde fait de jalousies qui, pour être mesquines et égocentriques,
ne s'en révèle pas moins dévastateur et quelquefois
meurtrier…
TN
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LE MONDE 07.05.10 |
Psychanalystes, encore un effort si vous
voulez être républicains…,
par Michel Onfray |
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Socrate
a raison, ô combien !, d'affirmer qu'il vaut mieux subir l'injustice
que la commettre. Dans le flot de haine qui a accueilli un livre d'un
million de signes qu'on n'aura pas eu le temps de lire vraiment pour
le critiquer dignement, j'aurais au moins eu la satisfaction d'opposer
ma décence et ma retenue en ne tombant pas dans le caniveau où
d'aucuns souhaitaient me conduire.
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Pour ma part, en effet, je n'ai traité personne de nazi, de
fasciste, de pétainiste, de vichyste alors qu'il m'aurait été
facile de souligner le paradoxe qu'il y a à m'invectiver avec
pareilles insultes pour sauver Freud qui , lui, a manifesté
sa sympathie pour Mussolini et l'austro-fascisme du Chancelier Dollfuss,
avant de travailler avec les envoyés de l'Institut Göring
pour que la psychanalyse puisse continuer à exister dans un
régime national-socialiste ; je n'ai pas eu non plus recours
aux facilités d'une psychanalyse sauvage de tel ou tel de mes
adversaires pour attaquer sa vie privée, salir son père
ou sa mère, stigmatiser son enfance comme il a été
fait à mon propos ; de même, je n'ai pas utilisé
les nombreuses informations qui m'ont été données
depuis par d'anciens patients sur le comportement délinquant
et délictuel de certains analystes très en vue à
Paris qui utilisent le divan d'une façon qui pourrait les conduire
en correctionnelle si les victimes osaient parler ; enfin, je n'ai
pas effectué d'attaques ad hominem, tout ceci est vérifiable.
QUANT À L'ARGENT, QU'ON ME PERMETTE DE SOURIRE
On a cru voir dans un livre qui d'ores et déjà est un
succès de librairie une stratégie médiatique
de ma part sous tendue par un goût de l'argent ! Faut-il croire
qu'en plus de leurs vices déjà bien connus les journalistes
soient serviles avec un philosophe qui ne dispose d'aucun moyen de
nuire comme ils le sont habituellement avec les grands de ce monde
, les politiciens en particulier ? Les ministres ou le président
de la République convoquent la presse, qui accourt, mais elle
ne se déplace pas pour un philosophe qu'on s'évertue
en même temps et sans craindre la contradiction à présenter
comme un négligeable "penseur du bocage normand"…
Elle est tout juste dans son rôle qui consiste à arriver
après, car la rumeur est la seule maîtresse du journaliste.
Le crépuscule d'une idole est mon cinquante troisième
livre, combien ont été des succès de librairie
? Combien de livres ai-je publié sans bénéficier
d' un seul papier dans la presse, sans une seule invitation à
la télévision, ou à la radio ? Soyons sérieux…
Quant à l'argent, qu'on me permette de sourire : la création
de l' Université Populaire de Caen en 2002 que j'anime bénévolement
depuis huit années avec des amis eux aussi bénévoles,
celle de l'Université Populaire du goût d'Argentan depuis
2006, sans parler d'autres activités gratuites que je ne vais
pas ici détailler, montrent qu'en effet, c'est le lucre qui
me guide ! J'assure vingt-et-une séances chaque année,
chacune est constituée de deux heures, la première est
un exposé qui me demande environ une trentaine d'heures de
travail pour lequel je ne suis pas payé. Faudrait-il que je
renonce aussi à publier ce cours et à vivre des droits
d'auteur que m'accordent les lecteurs qui achètent mes livres
?
Car ce texte de plus de six cent pages sur Freud, rappelons le, est
issu de ma huitième année de cours à l'UP de
Caen. Il n'est pas question pour moi de faire un petit commerce lucratif
de ce personnage dans les années à venir.
Ici comme ailleurs, certains me prêtent des travers qui sont
les leurs ou qu'ils auraient à ma place. J'ai commencé
mon cours en 2002 avec Leucippe et Démocrite, personne ne me
reprochait alors de vouloir faire de l'argent ! J'ai continué
l'année suivante avec les gnostiques licencieux, les Frères
et Sœurs du Libre Esprit, puis plus tard avec les libertins baroques
: des sujets racoleurs pour engranger de substantiels bénéfices
? L'an dernier il était question de Jean-Marie Guyau : pour
me remplir les poches ? L'an prochain, je réhabiliterai le
freudo-marxisme contre la psychanalyse freudienne : là encore
pour remplir mon portefeuille ? Après dix années de
labeur, j'aurais mené à bien mon travail de Contre histoire
de la philosophie dans un séminaire tenu en Normandie, sans
gagner d'autre argent que celui des droits d'auteur de mon cours.
Je ne détaillerai pas combien de refus j'ai signifié
de faire mon UP à Paris pour de l'argent sonnant et trébuchant…
L'UP, UN LIEU DE DÉBAT
Cette Université Populaire est ma création. Des amis
m'ont apporté leur concours dès la première année.
Nous existons depuis huit années. Aujourd'hui, il existe dix-sept
séminaires – dont un de psychanalyse. En 2002, j'avais
rencontré un psychanalyste de Caen pour lui proposer d'enseigner
les grands concepts de sa discipline. Il a refusé de s'associer
bénévolement à cette aventure. L'année
suivante, j'ai sollicité Françoise Gorog qui, avec son
équipe de Sainte-Anne, a assuré bénévolement
elle aussi, quatre années de cours. L'an dernier, j'ai demandé
à Myriam Illouz, psychanalyste, ( la compagne de Jean-Yves
Clément, un ami de plus de vingt-cinq ans qui anime pour sa
part un séminaire musique), d'assurer ce séminaire.
Car l'UP est un lieu de débat : je n'ai jamais caché
mon athéisme, et pour cause, le Traité d'athéologie
témoigne, toutefois, à ma demande, une amie catholique
pratiquante qui enseigne également au séminaire de Caen
assure un cours de littérature contemporaine ; je n'ai jamais
fait mystère de mes positions de gauche antilibérale,
mais un autre ami, libéral affiché, propose un séminaire
d'idées politique , et ce depuis la première année
; je consacre mon travail de cette session 2009/2010 à Freud,
et, en même temps, on peut assister à un cours de défense
et illustration de la psychanalyse. Car le libertaire que je suis
n'aspire pas à une UP dirigée de main de maître
idéologique par un gourou : dans notre aventure, c'est l'autonomie,
sinon l'autogestion qui fait la loi. Je crois aux vertus du débat,
du dialogue et de l'échange afin de solliciter la pensée
critique des auditeurs. Je n'aspire pas à ce qu'on pense comme
moi, mais qu'on s'interroge et réfléchisse à
partir des propositions faites par l'UP, dont moi parmi d'autres.
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LE MONDE 07.05.10 |
Le crime de M. Onfray ? Avoir suggéré
que Freud n'était pas de gauche,
par Mikkel Borch-Jacobsen |
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Quel
est donc le crime de Michel Onfray, qui lui vaut aujourd'hui d'être
traité dans la presse et sur Internet de "fou raisonnant"
(René Major), de "révisionniste", de "néo-paganiste
antijudéochrétien ", de "masturbateur",
de personnage douteux "projetant sur l'objet haï (c'est-à-dire
Freud) ses propres obsessions - les juifs, le sexe pervers, les complots"
(Elisabeth Roudinesco) ? Est-ce d'avoir pris au sérieux, dans
son dernier livre, les travaux d'historiens de la psychanalyse montrant
à quel point Freud a manipulé ses données cliniques,
trompetté des résultats thérapeutiques imaginaires,
fait silence sur ses dettes intellectuelles ?
Il semblerait que non, car on nous assure de toutes parts que tout cela
était connu depuis belle lurette - ce qui bien sûr dispense
une fois de plus d'en débattre sérieusement, comme à
l'époque d'un certain Livre noir de la psychanalyse. Mais pourquoi
alors tout ce bruit ?
Le véritable crime de Michel Onfray est d'avoir suggéré,
lui un homme de gauche, que Freud n'en était pas un. Cela est
proprement intolérable pour une génération intellectuelle
habituée à considérer Freud comme un penseur progressiste,
et c'est ce qui vaut à Onfray d'être dépeint, contre
toute vraisemblance, comme un suppôt de l'extrême droite.
Pourtant, il suffit de lire sans oeillères les écrits
"politiques" de Freud des années 1920-1930, notamment
Psychologie des masses et analyse du moi, pour s'aviser qu'Onfray ne
fait qu'énoncer une évidence. Reprenant à son compte
la Psychologie des foules de Gustave Le Bon, dont on sait à quel
point elle a influencé Mussolini et Hitler, Freud y décrit
la société comme une "masse" d'individus suggestibles,
soudés dans un amour unanime pour un "meneur" (Führer)
hypnotisant, mis à la place de leur "idéal du moi"
: "La masse veut toujours et encore être dominée par
un pouvoir illimité, elle est au plus haut degré avide
d'autorité, elle a, selon l'expression de Le Bon, soif de soumission."
Contrairement à ce qu'on lui a fait dire ici ou là (ce
fut entre autres la thèse de Lacan), Freud n'a nullement critiqué
la "psychologie des masses", convaincu qu'il était,
au contraire, d'y trouver l'essence même de la société.
Cela ne signifie pas, bien entendu, que Freud ait été
un fasciste, mais à tout le moins - et sur ce point Onfray a
tout à fait raison - que rien dans sa pensée politique
ne lui permettait de résister efficacement au fascisme. Le montrent
suffisamment sa consternante naïveté politique dans la tourmente
des années 1930, son soutien passif à l'austro-fascisme
de Dollfuss, son vain espoir que Mussolini protège l'Autriche
contre Hitler et enfin ses coupables compromissions avec les nazis en
vue de sauver la psychanalyse en Allemagne.
Onfray cite à cet égard une anecdote autour de laquelle
semble se cristalliser désormais la polémique. En 1933,
Freud reçoit une patiente italienne accompagnée de son
père, Giovacchino Forzano, un ami personnel de Mussolini (Forzano
dirigeait les films de propagande du Parti national fasciste). Prié
par Forzano de dédicacer un ouvrage au Duce, Freud prend un exemplaire
de son essai Pourquoi la guerre ? et écrit : "A Benito Mussolini,
avec le salut respectueux d'un vieil homme qui reconnaît en la
personne du dirigeant un héros de la culture. Vienne, 26 avril
1933."
René Major dans Libération et Philippe Petit dans Marianne
s'indignent qu'Onfray ait pris cette dédicace au sérieux
et lui reprochent de ne pas avoir compris l'humour bien particulier
de Freud. Pour preuve, la mention manuscrite ajoutée par Freud
au document de décharge que la Gestapo lui demandait de signer
et par lequel il reconnaissait avoir été bien traité
par elle avant son départ de Vienne en 1938 : "Je puis hautement
recommander la Gestapo à quiconque. " Or cette histoire,
popularisée par Ernest Jones dans sa biographie de Freud, est
entièrement apocryphe. Comme il a été établi
depuis maintenant plus de vingt ans, cette mention manuscrite est introuvable
sur le document original signé par Freud. Il s'agit donc soit
d'une vantardise de Freud, soit d'une invention de son hagiographe,
soit encore d'une combinaison des deux.
Philippe Petit, qui accuse Onfray d'accabler Freud "au mépris
des situations historiques", aurait d'ailleurs pu se demander comment
il se fait que la Gestapo ait pris tant de gants avec Freud, un juif
dont les nazis avaient brûlé les livres.
La réponse se trouve dans la supplique que Forzano, l'intermédiaire
entre Freud et Mussolini, avait adressée à ce dernier
le 14 mai 1938, deux jours exactement après l'annexion de l'Autriche
par les nazis : "Je recommande à Votre Excellence un glorieux
vieil homme de quatre-vingt-deux ans qui admire grandement Votre Excellence
: Freud, un juif." D'après Jones, "Mussolini était
intervenu soit directement auprès d'Hitler soit auprès
de son ambassadeur à Vienne", pour que Freud puisse quitter
le pays. "Il s'était probablement souvenu du compliment
que Freud lui avait fait. "
On ne peut que s'en réjouir, bien sûr, mais on se doute
bien que Mussolini n'eût pas fait de même s'il avait perçu
la moindre ironie dans la dédicace de Freud ou encore dans cette
phrase terrible de l'essai que celui-ci lui avait fait parvenir : "C'est
l'une des faces de l'inégalité humaine - inégalité
native et que l'on ne saurait combattre - qui veut cette répartition
en meneur et sujets. Ceux-ci forment la très grosse majorité
; ils ont besoin d'une autorité prenant pour eux des décisions
auxquelles ils se rangent presque toujours sans réserves."
Est-il besoin de préciser que Führer se dit en italien Duce
?
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Mikkel Borch-Jacobsen est professeur de littérature comparée
à l'université de Washington à Seattle, auteur du
"Dossier Freud. Enquête sur l'histoire de la psychanalyse"
(Empêcheurs de penser en rond, 2006).
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Pourquoi tant de haine ?
par Elisabeth Roudinesco
http://www.mediapart.fr/club/edition/bookclub/article/170410/pourquoi-tant-de-haine |
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Dans un brûlot truffé d'erreurs et traversé
de rumeurs, à paraître le 21 avril chez Grasset sous le
titre Le crépuscule d'une idole. L'affabulation freudienne, Michel
Onfray, qui n'est pas historien et ignore tout des travaux produits
depuis quarante ans par les véritables historiens de Freud et
de la psychanalyse (des dizaines d'essais dans le monde, dont les principaux
sont traduits en français), se présente pourtant comme
le premier biographe de Freud capable de décrypter des légendes
dorées déjà invalidées depuis des décennies.
Se transformant en affabulateur découvrant des vérités
occultes qui auraient été dissimulées par la société
occidentale - elle-même dominée par la dictature freudienne
et par ses milices - il traite les Juifs, inventeurs d'un monothéisme
mortifère, de précurseurs des régimes totalitaires,
Freud de tyran de toutes les femmes de sa maisonnée et d'abuseur
sexuel pervers de sa belle-soeur : homophobe, phallocrate, faussaire,
avide d'argent, faisant payer ses séances d'analyse 450 euros.
Il décrit le savant viennois comme un admirateur de Mussolini,
complice du régime hitlérien (par sa théorisation
de la pulsion de mort) et fait de la psychanalyse une science fasciste
fondée sur l'adéquation du bourreau et de la victime.
Tout en se déclarant proudhonien et parfois freudo-marxiste,
il réhabilite le discours de l'extrême droite française
(Debray-Ritzen et Bénesteau, notamment) avec lequel il entretient
une réelle connivence. De telles positions vont bien au-delà
d'un simple débat sur Freud et la psychanalyse. Car à
force d'inventer des faits qui n'existent pas et de fabriquer des révélations
qui n'en sont pas, l'auteur de ce brûlot hâtif et brouillon
favorise la prolifération des rumeurs les plus extravagantes
: c'est ainsi que des médias ont déjà annoncé
que Freud avait séjourné à Berlin durant l'entre
deux guerres, qu'il avait été le médecin d'Hitler
et de Göring, l'ami personnel de Mussolini et un formidable violeur
de femmes.
Quand on sait que huit millions de personnes en France sont traités
par des thérapies qui dérivent de la psychanalyse, on
voit bien qu'il y a dans un tel livre et dans les propos tenus par l'auteur
une volonté de nuire qui ne pourra, à terme, que soulever
l'indignation de tous ceux qui - psychiatres, psychanalystes, psychologues,
psychothérapeutes - apportent une aide indispensable à
une population saisie autant par la misère économique
- les enfants en détresse, les fous, les immigrés, les
pauvres - que par une souffrance psychique largement mise en évidence
par tous les collectifs de spécialistes.
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1- Description de l'ouvrage
Le 21 avril 2010 sort en librairie, sous la plume de Michel Onfray,
un nouveau brûlot contre Freud : Le crépuscule d'une idole.
L'affabulation freudienne. Publié chez Grasset et composé
de cinq parties, l'ouvrage est dénué de sources et de
notes bibliographiques. Il est truffé d'erreurs et traversé
de rumeurs. L'auteur projette sur l'objet haï ses propres obsessions
- les Juifs, le sexe pervers, les complots - au point de faire de Freud
un double inverti de lui-même, et de la psychanalyse l'expression
d'une autobiographie de son fondateur transformé en criminel
affabulateur. Face à cet alter-ego, rejeté en enfer, l'auteur
se veut un libérateur venant sauver le peuple français
de sa croyance en une idole dont il annonce le crépuscule.
Négligeant les ouvrages consacrés à Freud depuis
quarante ans, Onfray se présente comme un historien sérieux,
écrivant la première biographie non autorisée de
Freud et laissant croire que ne sont aujourd'hui disponibles que celles
d'Ernest Jones et de Peter Gay, parues, la première entre 1953
et 1957, et la deuxième en 1988. Il ne cite ni les travaux des
historiens de Vienne (Schorske, Johnston, Le Rider, etc...), ni ceux
consacrés à la question de la judéité de
Freud (Yerushalmi, Yovel, Derrida, Gay, etc...), ni aucun des essais
(des dizaines dans le monde, dont beaucoup sont traduits en français)
concernant les différents aspects de la vie de Freud : on connaît
aujourd'hui au jour le jour chaque événement de la vie
de celui-ci et de celles de ses compagnons, disciples et dissidents.
Onfray ne connaît rien à la vie de Josef Breuer, Wilhelm
Fliess, Sandor Ferenczi, Otto Rank, Ernest Jones, Alfred Adler, Carl
Gustav Jung, Melanie Klein, Marie Bonaparte, Lou Andreas-Salomé,
Anna Freud (à propos de laquelle il cite une biographie erronée
que plus personne ne lit). Pas un mot sur la question discutée
de la sexualité féminine (de Helen Deutsch à Karen
Horney en passant par Simone de Beauvoir, Juliet Mitchell Judith Butler),
ni sur l'histoire de la fondation de l'International Psychoanalytical
Association (IPA), ni sur la révision des grands cas (à
propos desquels il commet de lourdes bévues).
Quant à l'oeuvre de Freud, traduite en 60 langues, Onfray dit
en avoir pris connaissance pendant cinq mois (entre juin et décembre
2009) dans la traduction des PUF, celle qui est aujourd'hui la plus
critiquée par l'ensemble des spécialistes. Il ne fait
aucune référence au grand débat sur les traductions
et n'a consulté aucune archive : ni à la Library of Congress
(LOc) de Washington, ni au Freud Museum de Londres. Il ignore le monde
anglophone, germanophone et latino-américain et ne connaît
guère l'histoire de la psychanalyse en France.
Onfray cite l'ouvrage de Henri Ellenberger, Histoire de la découverte
de l'inconscient paru en 1970 (en anglais) et traduit pour la première
fois en français en 1974 et réédité en 1994.
Il souligne qu'il s'agit là de la première grande révision
de l'histoire officielle de Freud, ce qui est inexact puisqu'il oublie
l'oeuvre d'Ola Andersson (Freud avant Freud. La préhistoire de
la psychanalyse (1962), Les empêcheurs de penser en rond, 1997),
antérieure à celle d'Ellenberger. En outre, comme il date
la parution du livre d'Ellenberger de 1991, il fait donc débuter
l'historiographie savante avec vingt ans de retard, tout en soulignant
qu'elle est encore occultée aujourd'hui, alors même qu'elle
est en pleine expansion et que les archives de la LOc, après
les grandes batailles des années 1990, sont en train d'être
déclassifiées selon les règles en vigueur. Onfray
se trompe également sur la date de parution du livre de Frank
Sulloway, Freud biologiste de l'esprit, publié en anglais en
1978 et deux fois édité en français (1981 et 1998,
Fayard.) Il croit donc qu'aucun travail non hagiographique n'existe
à ce jour sur Freud, ce qui lui permet de se présenter
comme le premier auteur à redresser des légendes dorées,
déjà invalidées depuis trente ans. Il ne fait d'ailleurs
aucune différence entre histoire pieuse, histoire officielle,
pensée irrationnelle, historiographie fondée sur des légendes
noires et des rumeurs (courant dit «révisionniste»
ou, en anglais, «destructeur de Freud») et histoire savante.
D'où un manichéisme absolu : d'un côté les
«bons» anti-freudiens, de l'autre, les «mauvais»
adeptes d'une affabulation.
Ignorant les travaux américains et ne connaissant Freud que par
ce qu'il en a lu en français, Onfray se trompe également
sur la date de parution de la correspondance non expurgée de
Freud avec le médecin berlinois Wilhelm Fliess essentielle pour
décrypter les modalités de de l'invention de la psychanalyse
et les hésitations et errances du premier Freud. Celle-ci est
pourtant disponible en anglais, allemand, portugais, espagnol depuis
1986. Elle a été traduite pour la première fois
en français en 2006, soit vingt ans plus tard, ce qui fait croire
à Onfray qu'elle a été occultée jusqu'à
nos jours.
N'étant formé à aucune tradition de recherche universitaire,
n'ayant aucune idée de ce qu'est l'internationalisation de la
recherche en histoire, Onfray néglige la réalité
du travail historiographique qui se fait dans ce domaine depuis des
décennies, mais il s'appuie sur ce qu'il considère comme
le nec plus ultra de la recherche historique : Le lIvre noir de la psychanalyse
(Les Arènes, 2005), qui réunit une quarantaine de contributions.
Si Freud y est traité d'escroc et de menteur, avide d'argent
et incestueux par le courant historiographique révisionniste
américain, les psychanalystes - français notamment - y
sont accusés de complots et de contaminations diverses, les uns
parce qu'ils auraient été défavorables à
la vente de seringues pour les malades du sida - rumeur inventée
de toutes pièces - et les autres parce que, adeptes de Françoise
Dolto, morte en 1988, ils auraient favorisé après 2000
l'abaissement de l'autorité à l'école en idéalisant
l' «enfant roi». Quant à Jacques Lacan, il est comparé
à un gourou de secte, tandis que l'ensemble des associations
psychanalytiques sont brocardées pour avoir été
à l'origine d'un véritable goulag freudien : au moins
dix mille morts en France. Aucune source ne vient étayer cette
affirmation insensée.
Contrairement à ses nouveaux amis qui ont réussi, comme
il le raconte lui-même (Crépuscule, p. 585), à le
convertir à la vraie vérité - celle de la conspiration
des freudiens contre la société occidentale -, Onfray
ne s'attaque qu'à Freud, laissant entendre que plus tard, dans
un autre volume, il s'occupera de ses héritiers.
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2- Portrait de l'auteur en dieu solaire, hédoniste et masturbateur
Avant d'analyser le contenu du brûlot, il faut donner quelques
indications permettant de comprendre comment Onfray en est arrivé
à se «convertir» à l'anti-freudisme le plus
radical.
Fondateur d'une Université populaire à Caen, il est connu
pour avoir rassemblé autour de lui un vaste public qui suit son
enseignement en croyant avoir affaire à une entreprise moderne
de rénovation du discours philosophique. Convaincu que l'Université
française et l'Ecole républicaine sont des lieux de perdition
dans lesquels des professeurs assènent à des enfants des
vérités officielles dictées par un Etat totalitaire,
Onfray a entrepris une révision de l'histoire des savoirs dits
«officiels». Il se veut libertaire, d'extrême gauche,
adepte de Proudhon contre Marx et se proclame le défenseur du
peuple exploité par le capitalisme. Aussi a-t-il été
pendant un temps proche du Nouveau parti anticapitaliste avant d'appeler
à voter pour le Front gauche aux dernières élections
régionales.
Depuis plusieurs années, il diffuse largement une «contre-histoire
de la philosophie», qui prétend lever des refoulements
sur des savoirs qui auraient été censurés par les
professeurs, par le pape, par les prêtres. Aussi a-t-il mis au
point une méthodologie qui s'appuie sur le principe de la préfiguration
: tout est déjà dans tout avant même la survenue
d'un événement.
Grâce à cette méthodologie, qui rencontre un vrai
succès populaire auprès d'un public fasciné par
ce qu'il croit être une insurrection des consciences, Onfray a
pu affirmer qu'Emmanuel Kant, philosophe allemand des Lumières,
n'était qu'un précurseur d'Adolf Eichmann - l'organisateur
de la «Solution finale» qui se voulait kantien (Le songe
d'Eichmann, Galilée, 2008) -, que les trois monothéismes
(judaïsme, christianisme, islam) sont en eux-mêmes des entreprises
génocidaires, que l'évangéliste Jean est l'ancêtre
d'Hitler, que Jésus préfigure Hiroshima, et qu'enfin tous
les musulmans de la planète sont des fascistes guidés
par d'infâmes ayatollahs (Traité d'athéologie, Grasset,
2005)
A l'origine de cette sombre affaire, les Juifs, fondateurs du premier
monothéisme - c'est-à-dire d'une religion sanguinaire,
axée sur la pulsion de mort - seraient donc, selon Onfray, les
responsables de tous les malheurs de l'Occident, les véritables
«inventeurs de la guerre sainte» : «Car le monothéisme
tient pour la pulsion de mort, il chérit la mort, il jouit de
la mort, il est fasciné par la mort, il est fasciné par
elle (...) De l'épée sanguinaire des Juifs exterminant
les Cananéens à l'usage d'avion de ligne comme de bombes
volantes à New York, en passant par le largage de charges atomiques
à Hiroshima et Nagasaki, tout se fait au nom de Dieu, béni
par lui mais surtout béni par ceux qui s'en réclament.»
(Traité d'athéologie, p. 201, 212, 228, etc...)
A cette humanité monothéiste (juive, chrétienne,
musulmane) exclusivement vouée à la haine et à
la destruction, Onfray oppose une humanité athéologique,
soucieuse de l'avénement d'un monde hygiéniste, paradisiaque,
hédoniste : celle orchestrée par un dieu solaire et païen,
entièrement habité par la pulsion de vie et dont lui,
Onfray, serait le représentant sur terre avec pour mission d'inculquer
à ses disciples la meilleure manière de jouir sexuellement
de leur corps et du corps de leurs voisins : par la masturbation. Bien
qu'il ne sache pas de quoi il parle et qu'il ne cite pas le livre de
Thomas Laqueur (Le sexe solitaire. Contribution à une histoire
de la sexualité, Gallimard, 2004), Onfray se montre bien décidé
à faire du pénis l'objet d'un culte phallique et volcanique
hérité des anciens dieux de la Grèce, lesquels,
en tant que présocratiques, seraient les précurseurs de
Nietzsche. Que Nietzsche ait effectué un grand retour aux présocratiques
ne fait pourtant pas de ceux-ci un précurseur de celui-là.
Au fil d'un enseignement fortement médiatisé, Onfray a
réussi à convaincre un large public que les représentants
de ce dieu païen, célébrant les vertus de la foudre,
des comètes et des orages, n'ont jamais fait la guerre à
quiconque et sont des pacifistes admirables. Dans cette Grèce
vertueuse du bocage de basse Normandie, inventée par Onfray,
Homère n'existe pas, ni la guerre de Troie, ni Ulysse, ni Achille,
ni Zeus, ni Ouranos, ni les titans, ni la tragédie....
Onfray raconte qu'il a été, dans son enfance, la victime
de méchants prêtres «salésiens», dont
certains étaient pédophiles (Le crépuscule, p.
15) et qui ont fait de lui ce qu'il est devenu. Rebelle en émoi,
hanté par le complot oedipien qui se serait abattu sur lui, il
affirme que son père, «malheureux employé de laiterie»,
aurait été la victime passive de sa mère tout au
long d'un drame ayant pour toile de fond le «marché de
la sous-préfecture d'Argentan» (p.15). Cette mère
haïe avait été elle-même abandonnée
dans un cageot à sa naissance et elle en avait conçu une
détestation de son propre fils, au point de le frapper et de
lui prédire qu'il finirait sa vie sous l'échafaud : «Sans
jamais avoir tué père (et surtout) mère, ni visé
une carrière de bandit de grand chemin, encore moins envisagé
l'art de l'égorgeur, je me voyais mal sous le couteau de la veuve.
Ma mère si!» (La puissance d'exister,Grasset, 2006, présentation
par l'auteur)
Pour se venger de la haine que lui a inspiré sa mère,
il a décidé d'attaquer celui qu'il considère comme
le responsable de tous les complots contre le père : Sigmund
Freud, dont on sait qu'il fut adoré par sa mère. Onfray
l'avait admiré pourtant au point de le lire dès son enfance
en se masturbant (Philosophie Magazine, 36, février 2010, p.
10) puis d'inclure sa glorieuse histoire dans celle de l'athéologie
(Traité, p. 265). Mais voilà que, depuis sa conversion,
Onfray dénonce le complotisme freudien qui consiste, selon lui,
à promouvoir la haine des pères et l'adoration des mères
pour mieux les séduire sexuellement : telle est à ses
yeux l'essence de la psychanalyse, pur et simple récit autobiographique
de ce fondateur dépravé dont il «n'avait pas prémédité
l'assassinat» (Livres-hebdo, p. 16.)
Et du coup, il tente, contre Freud et contre le judéo-christianisme,
de réhabiliter la figure maltraitée du père : un
père solaire, flamboyant et phallique. Mais il n'aime les pères
qu'à condition qu'ils ne soient jamais pères. Fervent
adepte du célibat, Onfray ne cesse d'affirmer son refus de la
paternité : «Les stériles volontaires aiment autant
les enfants, voire plus, que les reproducteurs prolifiques (...) Qui
trouve le réel assez désirable pour initier son fils ou
sa fille à l'inéluctabilité de la mort, à
la fausseté des relations entre les hommes, à l'intérêt
qui mène le monde, à l'obligation du travail salarié?
(...) Il faudrait appeler amour cet art de transmettre pareilles vilenies
à la chair de sa chair?» (Théorie du corps amoureux(2000),
LGF, 2007, p. 218-220)
3- Freud pervers sexuel, la psychanalyse science nazie
Pour mieux faire de son brûlot la suite logique de sa contre histoire
des savoirs officiels, Onfray présente Freud comme un monstre
pervers, maltraitant son père jugé pédophile, ayant
abusé psychiquement de ses trois filles (Mathilde, Sophie et
Anna), et commis l'adultère avec sa belle-sœur pendant quarante
ans, de 1898 à sa mort. L'appartement de Vienne aurait été,
selon lui, un lupanar et Freud un abominable Œdipe : il ne pensait
qu'à coucher réellement avec sa mère (même
à un âge avancé) puis à occire vraiment son
père (même après la mort de celui-ci, survenue en
1896), et enfin a fabriquer des enfants incestueux pour mieux les violenter.
C'est ainsi que pendant dix ans, Freud aurait torturé sa fille
Anna tout au long d'une analyse en forme de procès inquisitorial
qui se serait déroulé de 1918 à 1929 et au cours
de laquelle, chaque jour, dans le secret de son cabinet, il l'aurait
incité à devenir homosexuelle (Le crépuscule, p.
243-245). S'il est exact que Freud a bien analysé sa fille, la
cure a duré quatre ans et non pas dix. Et quand Anna a commencé
à se rendre compte de son attirance pour les femmes, Freud l'a
plutôt incitée à s'orienter vers le travail intellectuel.
Par la suite, quand elle a vécu avec Dorothy Burlingham et qu'elle
a «adopté» les enfants de celle-ci, il a fait preuve
de tolérance. Freud n'était ni homophobe ni misogyne,
même si sa conception de la sexualité féminine est
discutable et a été discutée de nombreuses fois.
Peu importe les discussions des féministes et autres chercheurs
: Onfray affirme que le grand abuseur viennois n'était autre
qu'un escroc «ontologiquement homophobe» (Le crépuscule,
p. 513-513). L'homophobie ontologique selon Onfray serait très
différente de l'homophobie politique. La première consisterait
à faire de l'homosexualité une perversion et la deuxième
viserait à «criminaliser» l'homosexualité.
Cette distinction est d'autant plus ridicule qu'elle vise à faire
entrer Freud dans la catégorie des pervers. Or, la vérité
sur cette affaire est toute différente. Freud, au contraire de
bon nombre de ses disciples, ne considérait pas l'homosexualité
comme une perversion et il était favorable, politiquement, à
une émancipation des homosexuels.
Une fois de plus, la thèse d'Onfray n'a aucun fondement, sinon
d'exprimer la détestation qu'il voue lui-même à
l'homosexualité masculine et féminine. En faisant de Freud
un dictateur phallocrate possesseur de toutes les femmes - sa mère,
ses soeurs, sa belle soeur, ses filles, son épouse -, il parle
encore de lui-même. N'a-t-il pas, à de nombreuses reprises,
énoncé, en plus de son choix du célibat et de la
non paternité, son goût philosophique pour la polygamie
solaire, érotique, hédoniste, volcanique, païenne
et anti-judéochrétienne ? Rien à redire à
cela sinon que, s'agissant de Freud, il se transforme en inquisiteur
de ce dont, par ailleurs, il prétend être l'adepte.
Cédant à une ancienne rumeur inventée par Carl
Gustav Jung (et réactualisée par les révisionnistes
de l'école américaine et les puritains) selon laquelle,
Freud aurait eu, en 1898, une liaison avec Minna Bernays, la soeur de
sa femme Martha, lors d'un voyage en Engadine (cf. Sigmund Freud, Notre
coeur tend vers le sud. Correspondance de voyage 1895-1923, Fayard,
2005 et Le nouvel observateur, 1er février 2007), Onfray en vient
à imaginer que celui-ci aurait eu des relations sexuelles perverses
avec elle tout au long de sa vie, dans la chambre contiguë à
la sienne et sous le regard complice de sa femme qui aurait souvent
assisté aux ébats des deux amants. Pire encore, Freud
aurait engrossée Minna pour l'obliger ensuite à se faire
avorter. A l'évidence, Onfray, aussi peu soucieux des lois de
la chronologie que de celles de la procréation, situe cet événement
en 1923. Or, à cette date, Minna était âgée
de 58 ans et Freud de 67.
Et Onfray d'ajouter que Freud aurait cédé à la
tentation de subir une opération des canaux spermatiques destinée
à augmenter sa puissance sexuelle afin de mieux jouir du corps
de MInna : «Cette année-là, âgé de
soixante-sept ans, écrit-il, Freud le scientifique se fait ligaturer
les canaux spermatiques sous prétexte que ce genre d'intervention
rajeunit le sujet et ravive les puissances sexuelles défaillantes
- les tenants de la version hagiographique du héros renonçant
à la sexualité pour sublimer sa libido dans la production
d'une oeuvre universelle, la psychanalyse, devront revoir leur copie...
En revanche, pour les tenants d'une vie sexuelle active avec tante Minna,
et l'hypothèse d'un voyage effectué en Italie pour cause
d'avortement, les choses paraissent cohérentes... Les hagiographes
l'affirment benoîtement : cette ligature prévenait la récidive
de cancer.» (Crépuscule, p. 246). Et dans un entretien
donné à Livres-hebdo (9 avril 2010, p. 16), il ajoute
que Freud aurait aussi entretenu des «relations symboliquement
incestueuses avec la fille de sa maîtresse. Avec Freud, le bordel
n'est jamais très loin du monastère». Mais qui est
donc cette fille? Minna n'a jamais eu d'enfant. On se demande comment
le journaliste qui s'entretient avec Onfray peut avaler de telles sottises.
A l'émission de Franz-Olivier Giesbert (France 2, 9 avril), il
a même dit devant la mine réjouie de son interlocuteur
- fier de recueillir des «révélations» de
première main - que Freud avait «travaillé à
l'Institut-Göring de Berlin entre 1935 et 1938». Or il n'a
pas bougé de Vienne à cette époque. Quant à
la collaboration des freudiens et de Jones à la politique d'«aryanisation»
de la psychothérapie allemande orchestrée par Matthias
Göring, elle est parfaitement connue des historiens : Freud a laissé
faire - et c'est une faute politique grave - à la suite d'un
long conflit dont on trouve la trace dans sa correspondance avec Max
Eitingon (Hachette-Littératures, 2009) que Onfray ne cite pas
puisqu'il ne connaît pas le détail de cette affaire. Onfray
a affirmé en outre que Freud, avide d'argent, escroc, faussaire,
menteur prenait pour ses séances à Vienne la somme de
450 euros, ce qui laisserait entendre que tous ses héritiers
l'auraient imité. Pour qui connaît la réalité
de la pratique psychanalytique - et même celle de ses pires dérives
-, force est de constater qu'il s'agit là d'une conviction délirante.
Convaincu que Minna pouvait être enceinte à l'âge
de 58 ans, et ignorant l'histoire de la médecine, Onfray attribue
aux hagiographes d'avoir occulté la vérité concernant
la sexualité de Freud. La réalité est toute différente
: en 1923, Freud a en effet subi une opération de ligature dite
«opération de Steinbach». Cet endocrinologue était
l'un des premiers à avoir découvert la fonction des cellules
interstitielles qui sécrètent les hormones mâles.
En ligaturant les canaux, il pensait obtenir une relative hypertrophie
des cellules et par conséquent un «rajeunissement»
du sujet. Comme on pensait à l'époque que la formation
du cancer était partiellement due au processus de vieillissement,
l'opération de «rajeunissement de Steinbach» était
considérée comme un moyen de prévenir le retour
du cancer (cf. Max Schur, La mort dans la vie de Freud, Gallimard, 1972,
p. 434).
Défenseur du plaisir solitaire et solaire, Onfray accuse Freud,
non seulement d'avoir engrossé sa belle soeur, mais d'avoir favorisé
une immense répression de la masturbation (Le crépuscule,
p. 497-504). L'attaque est d'autant plus comique que Freud a été
voué aux gémonies par de nombreux sexologues puritains
du début du XXè siècle pour avoir condamné
toutes les tortures que l'on infligeait aux enfants pour réprimer
la masturbation (mains attachées dans le lit, appareils effrayants,
excision des filles, menaces diverses, coups, etc...).
Obsédé par la pédophilie, Onfray ne cesse de faire
des déclarations dans la presse pour dénoncer tous ceux
qu'il soupçonne d'être les complices de ce crime. Reprenant
à son compte des accusations grotesques contre Daniel Cohn-Bendit,
et citant une fameuse pétition de 1977 signée par de nombreux
intellectuels français favorables, à l'époque,
à une révision de la loi sur la sexualité des adolescents
(Sirinelli, Intellectuels et passions françaises, Fayard, 1990,
p. 269-270), il n'a pas hésité, dans son blog de novembre
2009, à fustiger l'ensemble de l'intelligentsia française
: des suppôts de la pédophilie, dit-il («Pédophilie
mon amour»). Et de même, il a pourfendu Roman Polanski et
Frédéric Mitterrand : «La pédophilie a bonne
presse, écrit-il. Quand Bayrou rappelle à juste titre
que Cohn-Bendit caressait le sexe des enfants et se laissait caresser
par eux, c'est Bayrou l'infâme! (...) Quand la pétition
contre la majorité sexuelle rassemble en 1977 la fine fleur des
intellectuels d'alors (Derrida, Deleuze, Guattari, Althusser, Sartre,
Beauvoir, Sollers, etc.....) mais aussi les désormais sarkozystes
Kouchner, Bruckner, Glucksmann (...) personne ne trouve à redire,
pas même Dolto, signataire elle aussi».
Si Freud est un pervers sexuel, cela signifie pour Onfray que sa doctrine
n'est que le prolongement d'une perversion plus grave encore en ce qu'elle
a trait à des origines honteuses : elle serait, selon Onfray,
le produit de quelque chose d'étranger au corps normal et sain
de l'homme, un hétérogène lié à des
stigmates précis. Elle serait donc l'inverse de la doctrine professée
par ce dieu solaire et volcanique, source de vie et antithèse
absolue du judéo-christianisme créateur de guerre, de
destruction et de pulsion de mort. Aussi bien Onfray fait-il alors de
la psychanalyse le «produit d'une culture décadente fin
de siècle qui a proliféré comme une plante vénéneuse»
(Le crépuscule, p. 566-567). Il reprend ainsi à son compte
la grande thématique de l'extrême droite française
qui, depuis Léon Daudet, a toujours comparé la psychanalyse
à une une science étrangère («boche»
ou «juive»), venant se greffer comme un parasite sur le
corps de l'Etat-nation, une science mortifère, conçue
par un cerveau dégénéré et née dans
une ville dépravée (Vienne) au coeur d'un Empire en pleine
déliquescence.
On ne s'étonnera donc pas de voir surgir sous sa plume, non pas
une critique de la psychanalyse à la manière de Theodor
Adorno, d'Herbert Marcuse, des féministes ou des culturalistes
américains, ou encore de Gilles Deleuze ou de Michel Foucault,
mais une accusation semblable à celle des adeptes du néo-paganisme
anti-judéochrétien. Car c'est bien dans cette veine que
se situe l'auteur du Crépuscule d'une idole quand, retournant
l'accusation de «science juive» prononcée par les
nazis contre la psychanalyse, il fait de celle-ci une science fasciste
(Crépuscule, p. 566 et sq.) et de son fondateur une sorte de
dictateur hitlérien adepte de l'inégalité des races
(p.533).
Le raisonnement est simple : accusant Freud d'avoir théorisé
la notion de pulsion de mort et de l'avoir inscrite au coeur de l'histoire
humaine, Onfray en vient à affirmer que puisque les nazis ont
mené à son terme le plus barbare l'accomplissement de
cette pulsion, cela signifie bien que Freud serait le précurseur
de cette barbarie et aussi un représentant des anti-Lumières,
animé par la «haine de soi juive» (Crépuscule,
p. 228 et 476). Mais il aurait fait pire encore : en publiant, en 1939,
L'homme Moïse et la religion monothéiste, c'est-à-dire
en faisant de Moïse un Egyptien et du meurtre du père l'un
des principes de l'avènement des sociétés humaines,
il aurait assassiné le père de la Loi judaïque, favorisant
ainsi l'extermination par les nazis de son propre peuple (Crépuscule,
p. 226-227). Il serait donc, de nouveau par anticipation, un persécuteur
de Juif, qui, ne pouvant pas s'avouer national-socialiste parce qu'il
est juif, aurait transféré sa ferveur envers Hitler en
une admiration pour Mussolini, au point de les imiter dans Psychologie
des masses et analyse du moi, ouvrage publié en 1921 et qui ne
traite pas de ce sujet : «A l'évidence, Freud, en tant
que Juif, ne peut rien sauver du national-socialisme. En revanche, le
césarisme autoritaire de Mussolini et l'austro-fascisme de Dollfuss
illustrent à merveille les thèses de Psychologie des masses
et analyse du moi.» Et Onfray prétend apporter la preuve
de ce qu'il avance en utilisant une anecdote connue de tous les historiens..
En 1933, Edoardo Weiss, disciple italien de Freud, présente à
celui-ci, à Vienne, une patiente qu'il a en traitement. Le père
de celle-ci, Gioacchino Forzano, auteur de comédies et ami de
Mussolini, accompagne sa fille. Au terme de la consultation, il demande
à Freud de dédicacer un de ses livres pour le Duce. Par
égard pour Weiss, qui sera contraint ensuite à l'émigration,
Freud y consent et choisit Pourquoi la guerre? écrit en collaboration
avec Einstein (1932-33) : «A Benito Mussolini, avec le salut respectueux
d'un vieil homme qui reconnaît en la personne du dirigeant un
héros de la culture.» Par la suite, Weiss demandera à
Jones de passer sous silence cet événement, mais celui-ci
s'y refusera, allant même jusqu'à accuser Weiss de complicité
avec Mussolini.
Sans connaître les détails de cette affaire, à propos
de laquelle il se trompe lourdement, Onfray en conclut que Freud est
un fasciste (Crépuscule, p. 524-532) et que Pourquoi la guerre?,
écrit en collaboration avec Einstein, est une apologie du crime.
Quand on sait que Freud fut un penseur des Lumières sombres et
jamais l'adepte des anti-Lumières, qu'il souligna que le meurtre
du père était l'acte fondateur des sociétés
humaines à condition toutefois que le meurtre fût sanctionné
par la Loi (modèle des tragédies grecques) et qu'il était
l'admirateur autant de Cromwell (le régicide) que de la monarchie
constitutionnelle anglaise (capable de sanctionner le régicide),
on se demande comment Onfray peut soutenir de telles extravagances.
Si la psychanalyse est, comme il l'affirme, une science nazie et fasciste,
cela signifie qu'elle est incompatible avec la démocratie . Mais
pourquoi alors ne s'est-elle développée que dans les pays
où s'était instauré un Etat de droit? Pourquoi
a-t-elle toujours été bannie, en tant que telle, par les
régimes totalitaires ou théocratiques, même quand
ses praticiens collaboraient avec de tels régimes? Onfray ne
se pose pas la question et se contente d'affirmer que si elle a eu du
succès, c'est parce que Freud a organisé des «milices»
pour la défendre, la transformant ainsi en une religion fanatique
favorisant la guerre et les boucheries de guerres, préfigurant
Auschwitz, Hiroshima et les guerres coloniales. En conséquence,
elle ne devrait sa survie qu'au fait qu'elle poserait une adéquation
entre bourreau et victime.
Refusant le principe même de l'histoire des sciences selon lequel
aucune norme ne doit être essentialisée par rapport à
une pathologie - puisque les phénomènes pathologiques
sont toujours des variations quantitatives des phénomènes
normaux -, Onfray reconduit une vision manichéiste de la relation
entre le normal et le pathologique. Il la pense selon l'axe du bien
et du mal : d'un côté le paradis de la norme (les adeptes
du dieu solaire, pacifistes et hédonistes), de l'autre, l'enfer
de la pathologie (les fous, les salauds, les pervers, les monstres,
les chrétiens, les Juifs, les nazis, les musulmans). Tant et
si bien qu'il en vient à affirmer que la psychanalyse n'est pas
capable - pas plus que Freud lui-même - de distinguer le bourreau
de la victime, puisque, pour elle, «tout se vaut» : le malade
et l'homme normal, le fou et le psychiatre, le pédophile et le
bon père, etc... Et, à propos de l'extermination des quatre
soeurs de Freud par les nazis, il en conclut «qu'on ne peut pas
comprendre le problème de la Solution finale qui saisit la famille
Freud. De quelle manière saisir intellectuellement, dit-il, ce
qui psychiquement distingue Adolfine, morte de faim à Theresienstadt,
et ses trois autres sœurs disparues dans les fours crématoires
en 1942 à Auschwitz et Rudolf Höss, puisque rien ne les
distingue psychiquement sinon quelques degrés à peine
visibles et comptant pour si peu que Freud n'a jamais théorisé
cet écart minime, pourtant tellement majeur?" (Crépuscule,
p. 566).
Notons au passage qu‘Onfray se trompe de camp : Rosa fut exterminée
à Treblinka et Mitzi et Paula à Maly Trostinec. Si la
«Solution finale» a bien saisi la famille Freud, ce n'est
certainement pas dans ce face à face sans «distinction
psychique» imaginé par Onfray entre le Commandant du camp
d'Auschwitz (Höss) et les quatre soeurs du fondateur de la psychanalyse,
accusé d'avoir éliminé, par anticipation, toute
différence entre l'exterminateur et ses victimes.
«Que la haine soit l'autre visage de l'amour, écrit Onfray
parlant de Freud, qu'on me permette de douter, d'abord parce qu'il n'y
a pas chez moi de haine de la psychanalyse (...)» Et il ajoute
: «Toute haine d'une victime juive pour son bourreau nazi me semble
loin de signifier chez elle un autre nom de l'amour! Il faut en finir
avec ce genre de pseudo-argument freudien que le rien est l'une des
modalités du tout, que le blanc est l'une des modalités
du noir, que la critique (ouverte) de Freud est l'une des modalités
(inconsciente) de l'amour de Freud.» (Lire, mars 2010, p.35)
Emporté par le déni de sa haine, Onfray ne cesse d'attribuer
au fondateur de la psychanalyse ses propres obsessions. C'est bien Onfray
et non pas Freud qui se permet d'affirmer que la haine d'une victime
juive pour son bourreau nazi est l'autre nom de l'amour. Et c'est de
son imagination qu'est sorti le scénario macabre de ce face à
face entre Rudolf Höss et les quatre soeurs de Freud.
Puisque la psychanalyse n'est que l'autre nom d'une science fasciste
inventée par un Juif haineux et pervers, on comprend qu'Onfray
se livre, à la fin de son ouvrage, à une réhabilitation
systématique des thèses paganistes de l'extrême
droite française avec lesquelles il entretient une forte relation
de connivence.
Ainsi fait-il l'éloge de La scolastique freudienne (Fayard, 1972),
ouvrage de Pierre Debray-Ritzen, pédiatre et fondateur de la
Nouvelle droite, qui n'a jamais cessé de fustiger autant le divorce
et l'avortement que la religion judéo-chrétienne, hostile
selon lui, à l'éclosion d'une vraie science matérialiste.
D'où sa revendication d'un athéisme forcené fondé
sur le culte du paganisme : «Sur la fin de sa vie, écrit
Onfray, cet oncle de Régis Debray qui n'en peut mais (sic) animait
une émission sur Radio Courtoisie, un média clairement
à la droite de la droite (...) Comment entendre la justesse de
bons arguments critiques dans un monde où l'essentiel de la classe
intellectuelle communie moins dans la gauche que dans son catéchisme?»
Non content de s'en prendre à la gauche française, dont
il prétend faire partie, Onfray vante les mérites d'un
autre ouvrage, issue de la même tradition, Mensonges freudiens.
Histoire d'une désinformation séculaire, publié
en Belgique par Jacques Bénesteau (Mardaga, 2002), préfacé
par un proche du Front national, soutenu par le Club de l'Horloge et
dans lequel on peut lire (p.190-191) qu'il n'existait pas d'antisémitisme
à Vienne durant l'entre-deux-guerres puisqu'à cette époque
de nombreux Juifs occupaient des postes importants dans toute les sphères
de la société civile : «Dans son ouvrage, écrit
Onfray, Bénesteau critique l'usage que Freud fait de l'antisémitisme
pour expliquer sa mise à l'écart par ses pairs, son absence
de reconnaissance par l'université, la lenteur de son succès.
En fait de démonstration, il explique qu'à Vienne à
cette époque nombre de Juifs occupent des postes importants dans
la justice la politique, l'édition, ce qui lui vaudra d'être
rangé dans le camp de «l'antisémitisme masqué»
par Elisabeth Roudinesco («Le club de l'horloge et la psychanalyse
: chronique d'un antisémitisme masqué», Les temps
modernes, 627, avril-mai-juin 2004) - masqué, autrement dit invisible
bien que présent et réel (...) Or, la lecture de ce gros
livre ne contient aucune remarque antisémite (sic), on n'y trouve
aucune position qui dirait la préférence politique de
son auteur.» (Crépuscule, p. 596).
Au terme de son furieux réquisitoire, Michel Onfray souscrit
à la thèse selon laquelle Freud - homophobe, misogyne,
défenseur du fascisme, responsable par anticipation de l'extermination
de ses soeurs, adepte d'une sexualité malsaine et d'une conception
pervertie des relations entre la norme et la pathologie - aurait inventé
des persécutions antisémites qui n'existaient nullement
à Vienne, manière de voir partout et en toutes circonstances
- dans la plus pure tradition de l'idéologie complotiste française
(d'Augustin Barruel à Edouard Drumont) - la main, l'oeil et le
nez de Freud.
A la lecture d'un tel ouvrage, dont l'enjeu dépasse largement
le débat classique entre adeptes et opposants à la psychanalyse,
on est en droit de se demander si les considérations marchandes
qui ont conduit à cette publication ne sont pas désormais
d'un tel poids qu'elles seraient susceptibles d'abolir tout jugement
critique et tout sens de la responsabilité? La question en tout
cas mérite d'être posée et le débat est ouvert.
Elisabeth Roudinesco, directrice de recherches (Université de
Paris-Diderot) est présidente de la SIHPP.
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Réponse de Michel Onfray à
Elisabeth Roudinesco
http://www.mediapart.fr/club/edition/les-invites-de-mediapart/article/170410/reponse-de-michel-onfray-elisabeth-roudinesco |
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Suite à la publication
sur Mediapart du texte d'Elisabeth Roudinesco, Pourquoi tant de haine?,
consacré à une réfutation du livre de Michel Onfray,
Le crépuscule d'une idole. L'affabulation freudienne, Michel Onfray
nous a adressé le texte suivant.
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Roudinesco sur
Onfray
Où l'on apprend ce qu'est la position du missionnaire... |
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Elisabeth Roudinesco a affirmé à un
journaliste sidéré qu'elle allait créer une polémique
planétaire contre moi, une polémique dont je ne me remettrai
jamais! Tudieu! Quelle force de frappe! Quelle puissance pour une si
petite dame qui croit pouvoir activer ses réseaux intergalactiques
afin de pouvoir continuer à distiller son fiel, enseigner la
légende, et puis, bien sûr, empocher les bénéfices
de ce petit commerce (très) rentable... Pour ce faire, elle inonde
internet d'un «communiqué d'Elisabeth Roudinesco»
de dix-huit pages, celui qui fut envoyé à l'Agence France
Presse (!), qui est un tissu d'insultes, de mensonges, de contre vérités
qui la ridiculisent gravement plus qu'elles ne me nuisent. Elle a intitulé
la chose:« Pourquoi tant de haine? (suite)». En effet: Pourquoi
tant de haine?
Cette haine, on la cherchera en vain dans mon livre, on pourra également
lire les entretiens, visionner les émissions de télévision,
écouter mes conversations radiophoniques qui n'ont pas manqué
avant même la parution du livre, sinon assister à mes séminaires
de l'Université Populaire (où mon amie psychanalyste,
Myriam Illouz, enseigne, à ma demande, la psychanalyse -car je
crois, pour ma part, aux vertus de la saine confrontation, du dialogue
intelligent pour que le public se fasse lui-même une idée
juste) : on n'y trouvera aucune haine.
A moins d'estimer que célébrer les vertus de l'histoire
contre la dangerosité de la légende ce soit manifester
de la haine! Auquel cas, je ne peux rien faire et veux bien être
traité de haineux par une femme qui fait de moi à longueur
d'ondes, d'entretiens, de papiers, de discours, un nazi, un vichyste,
un pétainiste, un compagnon de route des négationnistes,
un révisionniste, un antisémite, un défenseur de
l'idéologie de l'extrême droite française!
Dans ce «travail» de Madame Roudinesco qui met à
jour toute l'épistémologie dont elle est capable, je me
contenterai juste d'une remarque pour éviter de reprendre point
par point ce chapelet d'insanités. Pas question en effet de répondre
de manière circonstanciée et développée
à cette phrase tellement ridicule qui prétend qu'avecLe
crépuscule d'une idole, j'aurais fait de la psychanalyse «une
science nazie et fasciste» (page 15)!
Pas question non plus de faire autre chose que rire à gorge déployée
à la lecture de cette sottise crasse: parlant de Freud je l'aurais
tellement admiré que je l'aurais lu dans «mon enfance»
(quel talent!) en me masturbant (page 8) (quel autre talent!)...
Pas question de commenter le diagnostic digne d'un élève
de terminale (après sa première leçon de psychanalyse
dans son cours de philo...) concernant la «haine» (page
8) que j'aurais pour ma mère, une information prélevée
dans La puissance d'exister un livre justement dédié...
à ma mère!
Pas question de répondre à l'assertion que j'aurais lu
Freud en cinq mois quand, dans la préface, je signale avoir commencé
ma lecture en 1973 alors que, sans craindre la contradiction, elle prétend
elle-même que son Mentor me servait à me tripoter dans
les cabinets dans mon «enfance»...
Pas question de montrer que ce livre, prétendument «dénué
de sources et de notes bibliographiques» (page 2) comporte une
bibliographie de vingt pages, interligne «un», soit plus
de 50.000 signes, et de faire remarquer que les notes ne sont pas en
bas de page, mais derrière chaque citation tant il y en a, (quatre
ou cinq par pages en moyenne...) , ce que précise la seule note
en bas de page de mon livre (page 37)!
Pas question de relever le mépris venu des beaux quartiers parisiens
que ses honoraires lui permettent d'habiter contre moi qui suis tout
juste un goy terroir «du bocage de Basse-Normandie» (page
7).
Pas question de tourner le couteau dans la plaie en relevant les passages
dans lesquels Madame Roudinesco défend les pédophiles
et la pédophilie (page 12) et attaque ceux qui l'attaquent -dont
moi qui préfère me trouver de ce côté-là
de la barrière que du sien, pour ça comme pour le reste....
Pas question de raviver le prurit en commentant cette assertion que
j'aurais écrit «la première biographie non autorisée
de Freud (en) laissant croire que ne sont aujourd'hui disponibles que
celle d'Ernest Jones et de Peter Gay, parues la première entre
1953 et 1957, et la deuxième en 1988» (p.2) alors que je
renvoie, pour le travail le plus récent, aux presque mille pages
intitulées Si c'était Freud... de Gérard Huber
paru en août 2009 -mention donnée dans la bibliographie
(p.584). Par ailleurs, je n'ai nulle part dit qu'il s'agissait d'une
«biographie non autorisée»!
Pas question de préciser que, concernant la correspondance de
Freud avec Max Eitingon (dont Madame Roudinesco écrit: il «ne
la cite pas puisqu'il ne connaît pas le détail de cette
affaire», page 11) se trouve être précisément
à la base des développements des deux chapitres intitulés
«Salut respectueux de Freud aux dictateurs» et «Le
surhomme freudien et la horde primitive» avec un détail
de l'analyse des lettres échangées entre les deux hommes
pp.549-550. Le livre que je ne connais donc pas est mentionné
dans cette fameuse bibliographie qui n'existe pas non plus page 590!
On y lira: «Sur la question politique, sur celle des relations
entre psychanalyse et national-socialisme, quelques lettres à
Eitingon constituent une mine, Correspondance (1906-1939), traduction
d'Olivier Mannoni, Hachette, 2009. Egalement indispensable pour approcher
la machinerie de l'institution psychanalytique»).
Pas question de montrer mes quartiers de noblesse de gauche (la chose
est connue publiquement, la dame le signale elle-même dans ce
même texte en me présentant, sans craindre le ridicule
d'affirmer l'exact contraire de sa thèse, comme «un freudo-marxiste»
(page 1) pour réfuter l'assertion selon laquelle je «réhabilite
le discours de l'extrême droite française» (idem)!
Madame Roudinesco qui fut longtemps stalinienne au Parti Communiste
français a gardé les tics d'une pathologie qu'on ne soigne
jamais: elle est toujours bel et bien l'éleveuse des vipères
lubriques et des hyènes dactylographes, ces animaux d'un temps
qui fut le sien, celui de sa gloire passée, mais c'était
un temps où je n'étais pas encore né...
Juste une remarque: le fichier qu'elle diffuse d'une manière
hystérique et compulsive sur le net et qui contient cette prose
scientifique (dans le sens que Freud donnait à ce mot...) a pour
titre : «Roudinesco sur Onfray»... Si j'étais psychanalyste,
ce qu'à Dieu ne plaise, j'y verrai quelque chose comme un acte
manqué qui trahit un désir inconscient! Quand je pense
qu'on ne peut même pas lui conseiller le divan – puisque
c'est déjà fait! Preuve définitive, d'ailleurs,
de l'inutilité de ce genre de pratique pour en finir une bonne
fois pour toute avec les pathologies mentales, non?
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et même une dépêche AFP…
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Une dépêche AFP du
15 avril 2010 : Michel Onfray déboulonne Freud et fait grincer des
dents |
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De Myriam CHAPLAIN-RIOU
(AFP) –
PARIS — Après avoir cogné dur sur Dieu dans un précédent
ouvrage, le philosophe Michel Onfray s'attaque à Freud dans une
"psycho-biographie" de 600 pages où il l'accuse entre
autres maux d'être partisan des régimes autoritaires, cupide
et menteur.
Le seul titre de ce pavé divisé en cinq parties, "Le
Crépuscule d'une idole, l'affabulation freudienne" (Grasset),
à paraître le 21 avril, résume la thèse de
l'auteur.
Selon lui, Freud, le père de la psychanalyse, "n'a jamais
soigné ni guéri ses patients". Il légitime "la
misogynie et l'homophobie" et se révèle "un compagnon
de route du césarisme fasciste autoritaire de son temps",
dit-il à l'AFP. "Il a fait par exemple une dédicace
élogieuse à Mussolini".
Les spécialistes du grand Sigmund (1856-1939) s'étranglent.
"Cette anecdote est connue de tous les historiens", explique
à l'AFP la philosophe et psychanalyste Elisabeth Roudinesco, qui
mène la contre-offensive.
En 1933, un disciple italien de Freud lui présente une de ses patientes.
Le père de celle-ci, ami de Mussolini, demande à Freud de
dédicacer un de ses livres pour le Duce. Le psychanalyste choisit
"Pourquoi la guerre?", co-écrit avec Einstein, et note:
"A Benito Mussolini, avec le salut respectueux d'un vieil homme qui
reconnaît en la personne du dirigeant un héros de la culture".
"Il faut replacer cela dans le contexte. Ce n'est pas du tout que
Freud adhère au fascisme et jamais il n'a fait l'apologie des régimes
autoritaires", affirme Mme Roudinesco.
Le livre d'Onfray est "un brûlot truffé d'erreurs et
traversé de rumeurs", poursuit-elle. "Il prétend
révéler des choses que tout le monde connaît et fait
des amalgames".
"Michel Onfray y traite les Juifs, inventeurs du monothéisme,
de précurseurs du nazisme et Freud d'abuseur sexuel, admirateur
du régime de Mussolini et complice du régime hitlérien
par sa théorisation de la pulsion de mort", s'insurge Mme
Roudinesco. "Il fait de la psychanalyse une science fasciste fondée
sur l'adéquation du bourreau et de la victime".
Faux, rétorque Michel Onfray: "Je n'ai jamais dit que Freud
était antisémite. Comment pourrais-je dire une telle bêtise,
c'est dérisoire et c'est n'importe quoi !", s'exclame-t-il.
Les quatre soeurs de Freud ont été tuées par les
nazis.
"Ce livre est une psycho-biographie nietzschéenne, dans laquelle
je croise les faits, les dates et l'oeuvre. Tout est vérifiable",
poursuit l'auteur.
"J'ai lu les 6.000 pages de l'oeuvre complète de Freud et
sa correspondance. Il y a des notes et une bibliographie à la fin
de mon ouvrage. Mais dès qu'on touche à Freud, certains
partent au combat pour entretenir les mythologies", ajoute le philosophe.
Michel Onfray se propose, explique-t-il, de penser la psychanalyse comme
"une hallucination collective appuyée sur une série
de légendes" ainsi qu'il l'a fait avec la religion dans son
"Traité d'athéologie" (Grasset, 2005), vendu à
plus de 220.000 exemplaires.
Un large pan du livre parle de sexualité. Selon Michel Onfray,
si Freud assure avoir choisi de renoncer aux rapports sexuels et de "sublimer",
il a en fait "cessé de coucher avec son épouse mais
a couché avec sa belle-soeur...". Entre autres.
Dans cette tempête autour de Freud, "les lecteurs seront les
juges de paix", conclut Michel Onfray.
("Le Crépuscule d'une idole, l'affabulation freudienne"
- Michel Onfray - éditions Bernard Grasset - 612 p. -
22 euros) |
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Onfray et le fantasme antifreudien,
par Elisabeth Roudinesco |
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LE
MONDE DES LIVRES | 15.04.10 | 11h43 • Mis à jour le 15.04.10
| 11h43
http://www.lemonde.fr/livres/article/2010/04/15/onfray-et-le-fantasme-antifreudien-par-elisabeth-roudinesco_1333898_3260.html |
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Créateur d'une Université
populaire à Caen, Michel Onfray s'est fait connaître pour
avoir inventé une "contre-histoire de la philosophie"
dont la méthodologie s'appuie sur le principe de la préfiguration
: tout est déjà dans tout avant même la survenue
d'un événement. Cela lui a permis d'affirmer des choses
extravagantes : qu'Emmanuel Kant était le précurseur d'Adolf
Eichmann - parce que celui-ci se disait kantien (Le Songe d'Eichmann,
Galilée, 2008) -, que les trois monothéismes (judaïsme,
christianisme et islam) étaient des entreprises génocidaires,
que l'évangéliste Jean préfigurait Hitler et Jésus
Hiroshima, et enfin que les musulmans étaient des fascistes (Traité
d'athéologie, Grasset, 2005). Fondateurs d'un monothéisme
axé sur la pulsion de mort, les juifs seraient donc les premiers
responsables de tous les malheurs de l'Occident. A cette entreprise
mortifère, M. Onfray oppose une religion hédoniste, solaire
et païenne, habitée par la pulsion de vie.
C'est dans la même perspective, dit-il, qu'il a lu en cinq mois
l'oeuvre complète de Freud puis rédigé ce Crépuscule
d'une idole. Truffé d'erreurs, traversé de rumeurs, sans
sources bibliographiques, l'ouvrage n'est que la projection des fantasmes
de l'auteur sur le personnage de Freud. M. Onfray parle à la
première personne pour avancer l'idée que Freud aurait
perverti l'Occident en inventant, en 1897, un complot oedipien, c'est-à-dire
un récit autobiographique qui ne serait que la traduction de
sa propre pathologie. Il fait du théoricien viennois un "faussaire",
motivé "par l'argent, la cruauté, l'envie, la haine".
LA FIGURE DU PÈRE
Face à cette figure qui lui sert de repoussoir, et dont il annonce
le crépuscule, l'auteur revalorise la destinée des pères,
et d'abord du sien propre. Et puisque Freud fut adoré de sa mère,
M. Onfray considère que le fondateur de la psychanalyse était
un pervers haïssant son père et ayant abusé psychiquement
de ses trois filles (Mathilde, Sophie et Anna). L'appartement de Vienne
était, selon lui, un lupanar et Freud un Œdipe ne pensant
qu'à coucher réellement avec sa mère puis à
occire vraiment son père, afin de fabriquer des enfants incestueux
pour mieux les violenter. Pendant dix ans, il aurait torturé
sa fille Anna tout au long d'une analyse qui aurait duré de 1918
à 1929, et au cours de laquelle, chaque jour, il l'aurait incitée
à devenir homosexuelle. La vérité est toute différente
: Freud a bien analysé sa fille, mais la cure a duré quatre
ans, et quand Anna a commencé à se rendre compte de son
attirance pour les femmes, c'est elle qui a choisi son destin et Freud
ne l'a pas tyrannisée : il a même fait preuve de tolérance.
Cédant à une rumeur inventée par Carl GustavJung,
selon laquelle Freud aurait eu une liaison avec Minna Bernays, la soeur
de sa femme Martha, M. Onfray en vient à imaginer, à la
suite d'historiens américains du courant dit "révisionniste",
que celui-ci l'aurait engrossée puis obligée à
avorter. Aussi peu soucieux des lois de la chronologie que de celles
de la procréation, M. Onfray situe cet événement
en 1923. Or, à cette date, Minna était âgée
de 58 ans et Freud de 67.
Et Michel Onfray d'ajouter que Freud aurait cédé à
la tentation de subir une opération des canaux spermatiques destinée
à augmenter sa puissance sexuelle afin de mieux jouir du corps
de Minna. La réalité est toute différente : en
1923, Freud, qui vient d'apprendre qu'il est atteint d'un cancer, subit
cette opération de ligature (dite de "Steinbach"),
classique à l'époque, et dont on pensait qu'elle pouvait
prévenir la récidive des cancers.
Si Freud est un pervers, sa doctrine devient alors le prolongement d'une
perversion plus grave encore : elle serait, pour M. Onfray, le "produit
d'une culture décadente fin de siècle qui a proliféré
comme une plante vénéneuse". L'auteur reprend ainsi
une thématique connue depuisLéon Daudet et selon laquelle
la psychanalyse serait une science parasitaire, conçue par un
cerveau dégénéré et née dans une
ville dépravée.
Dans la même veine, il retourne l'accusation de "science
juive" prononcée par les nazis contre la psychanalyse pour
faire de celle-ci une science raciste : puisque les nazis ont mené
à son terme l'accomplissement de la pulsion de mort théorisée
par Freud, affirme-t-il, cela signifie que celui-ci serait un admirateur
de tous les dictateurs fascistes et racistes. Mais Freud aurait fait
pire encore : en publiant, en 1939, L'Homme Moïse et la religion
monothéiste, c'est-à-dire en faisant de Moïse un
Egyptien et du meurtre du père un moment originel des sociétés
humaines, il aurait assassiné le grand prophète de la
Loi et serait donc, par anticipation, le complice de l'extermination
de son peuple. Quand on sait que Freud soulignait que la naissance de
la démocratie était liée à l'avènement
d'une loi sanctionnant le meurtre originel et donc la pulsion de mort,
on voit bien que l'argument d'un Freud assassin de Moïse et des
juifs ne tient pas un instant.
LE BOURREAU ET LA VICTIME
Refusant le principe fondateur de l'histoire des sciences, selon lequel
les phénomènes pathologiques sont toujours des variations
quantitatives des phénomènes normaux, M. Onfray essentialise
l'opposition entre la norme et la pathologie pour soutenir que Freud
n'est pas capable de distinguer le malade de l'homme sain, le pédophile
du bon père et surtout le bourreau de la victime. Et du coup,
à propos de l'extermination des quatre soeurs de Freud, il en
conclut qu'à l'aune de la théorie psychanalytique, il
est impossible "de saisir intellectuellement ce qui psychiquement
distingue Adolfine, morte de faim à Theresienstadt, de ses trois
autres soeurs disparues dans les fours crématoires en 1942 à
Auschwitz et Rudolf Höss (le commandant du camp d'extermination),
puisque rien ne les distingue psychiquement sinon quelques degrés
à peine visibles". Au passage, M. Onfray se trompe de camp
: Rosa fut exterminée à Treblinka, Mitzi et Paula à
Maly Trostinec. Et si la "solution finale" a bien saisi la
famille Freud, ce n'est pas dans un tel face-à-face inventé
de toutes pièces.
Bien qu'il se réclame de la tradition freudo-marxiste, Michel
Onfray se livre en réalité à une réhabilitation
des thèses paganistes de l'extrême droite française.
Telle est la surprise de ce livre. Ainsi fait-il l'éloge de La
Scolastique freudienne (Fayard, 1972), ouvrage de Pierre Debray-Ritzen,
pédiatre et membre de la Nouvelle Droite, qui n'a jamais cessé
de fustiger le divorce, l'avortement et le judéo-christianisme.
Mais il vante aussi les mérites d'un autre ouvrage, issu de la
même tradition (Jacques Bénesteau, Mensonges freudiens.
Histoire d'une désinformation séculaire, Mardaga, 2002),
préfacé par un proche du Front national, soutenu par le
Club de l'Horloge :"Bénesteau, écrit-il, critique
l'usage que Freud fait de l'antisémitisme pour expliquer sa mise
à l'écart par ses pairs, son absence de reconnaissance
par l'université, la lenteur de son succès. En fait de
démonstration, il explique qu'à Vienne à cette
époque nombre de juifs occupent des postes importants dans la
justice et la politique." Au terme de son réquisitoire,
M. Onfray en vient à souscrire à la thèse selon
laquelle il n'existait pas de persécutions antisémites
à Vienne puisque les juifs étaient nombreux à des
postes importants.
On est loin ici d'un simple débat opposant les partisans et les
adeptes de la psychanalyse, et l'on est en droit de se demander si les
motivations marchandes ne sont pas désormais d'un tel poids éditorial
qu'elles finissent par abolir tout jugement critique. La question mérite
d'être posée.
Le Crépuscule d'une idole. L'affabulation freudienne
de Michel Onfray. Grasset, 600 p., 22 €, en librairie
le 21 avril.
Elisabeth Roudinesco
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Curieusement, c'est dans
un roman que sont révélés tous les secrets de la
vie de Freud : mon patient
Sigmund Freud, Paris, Perrin, 2006 et aussi dans une célèbre
pièce de théâtre : La
damnation de Freud par Tobie Nathan, Isabelle Stengers et Lucien
Hounkpatin, publiée par les empêcheurs de penser en rond
en 1997
TN
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Michel Onfray |
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Le crépuscule d'une idole. L'affabulation freudienne
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Michel Onfray
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Après Dieu, Michel Onfray
déboulonne Freud, le freudisme et les freudiens. Les griefs qu'il
récapitule en tête de sa conclusion (voir l'extrait ci-dessous)
sont de trois ordres. Le premier est biographique : Freud aurait eu
un comportement malhonnête. En deuxième lieu, sa thérapie
n'a pas fait ses preuves. Progressiste ou révolutionnaire, Freud
? En aucun cas, objecte Michel Onfray, qui tient à le mettre
également en cause sous l'angle politique. C'était un
fieffé conservateur, gardien des bonnes moeurs et partisan de
régimes autoritaires.
Au terme de cette analyse, une question s'impose : si Freud fut bien
cet affabulateur accablé par un lourd dossier ; s'il a bien été
un philosophe qui a détesté la philosophie pour mieux
déployer sa pensée dans le seul cadre philosophique ;
s'il a très tôt détesté les biographes parce
qu'il savait que cette engeance ferait un jour l'histoire de ce qu'il
s'est évertué, lui et ses amis, à présenter
sous le signe de la légende ; si son odyssée fut celle
d'un "aventurier", selon sa propre confidence, prêt
à tout pour obtenir ce qu'il revendique obsessionnellement comme
un droit : la célébrité et la richesse, la gloire
et la réputation planétaire ; si sa revendication d'être
un scientifique légitimé par la clinique cache la proposition
subjective, personnelle et autobiographique d'une psychologie littéraire
; si sa grande passion fut l'inceste et qu'il a étendu son fantasme
à l'univers entier pour en supporter plus facilement l'augure
; s'il a effacé les preuves du capharnaüm théorique
et clinique de son trajet pour présenter sa découverte
sous forme d'un continuum scientifique linéaire procédant
de son seul génie ; si ses entreprises d'écritures autobiographiques,
notamment l'Autoprésentation et Contribution à l'histoire
du mouvement psychanalytique, fabriquent cette version féerique
d'un homme génial découvrant tout seul le continent vierge
de l'inconscient ; si la clinique freudienne fut une cour des miracles
pendant des années, y compris celles du divan ; si le psychanalyste
a sciemment falsifié les résultats cliniques afin de dissimuler
les échecs de son dispositif analytique ; si le divan soigne
dans la stricte mesure de l'effet placebo ; si l'épistémologie
de Freud procède de la seule affirmation performative ; s'il
a recyclé le vieux dualisme de la philosophie occidentale en
opposant le corps et l'âme sous forme de plasma germinal physiologique
et d'inconscient psychique, et ce afin de négliger le premier
pour mieux célébrer le second ; si Freud a magnifié
la causalité magique, notamment par un usage des facilités
symboliques, au détriment de toute raison raisonnable et raisonnante
; si l'aventure viennoise se contente d'incarner, dans son temps, et
selon les tropismes du moment, la vieille logique chamanique des sorciers,
des mages, des guérisseurs et des exorcistes ; si le pessimisme
de Freud lui fait tourner le dos à la philosophie des Lumières
et l'installe du côté de ce qu'au XVIIIe siècle
on appelait les Antiphilosophes ; si, de ce fait, on retrouve Freud
soutenant le césarisme autoritaire de Dollfuss ou de Mussolini
; si l'on découvre dans son oeuvre matière ontologique
à une phallocratie misogyne et homophobe et non à une
pensée de la libération sexuelle - alors : comment expliquer
le succès de Freud, du freudisme et de la psychanalyse pendant
un siècle ?
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La réplique d'Alain
de Mijolla à Onfray
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Alain de Mijolla
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Pour l'historien de la psychanalyse, auteur de
l'étourdissant feuilleton Freud et la France, l'entreprise de
Michel Onfray relance sans le renouveler un procès ouvert depuis
1915.
Je n'ai pas l'habitude des polémiques car je
respecte les auteurs pour les idées qu'ils expriment, même
si, comme c'est le cas ici, je ne suis pas en accord avec elles. Dès
le début de la découverte et de la propagation de la psychanalyse
par Freud, les critiques et les oppositions se sont manifestées.
Dans un premier temps, c'est la personne même de Freud qui a été
l'objet de plaisanteries salaces, voire d'insultes l'assimilant à
un pornographe, en particulier dans les milieux bourgeois de Vienne.
Ensuite les critiques se sont progressivement portées sur les
théories freudiennes qui étaient considérées
comme fumeuses et mystiques, bien loin du solide bon sens et de la scientificité
qui caractérisaient la pensée psychiatrique ou, plus directement,
l'oeuvre de Pierre Janet en France.
Je me bornerai essentiellement, ayant parcouru les flots d'objections
que Michel Onfray déverse sur Freud et la psychanalyse, à
lui montrer qu'il n'est pas un novateur en la matière. Mon livre
se limitant aux années 1885-1945, je n'évoquerai pas les
derniers auteurs de propos semblables, comme le professeur Debray-Ritzen,
Gérard Zwang, l'abbé de Nantes, Le livre noir de la psychanalyse,
etc., car ils sont plus récents. Je ne donnerai qu'un éclairage
sur la nature des critiques qui n'ont guère changé de
thèmes et se sont succédé depuis près de
cent ans... Il n'y a rien de nouveau sous le soleil.
Laissons la parole à ceux qui ont peut-être servi de modèles
à Michel Onfray. C'est un des défauts principaux de l'Histoire
que de rappeler à chacun de ceux qui pensent avoir découvert
l'Amérique qu'un certain Christophe Colomb est passé avant
eux. Le désir d'originalité pousse au refoulement, parfois
sous le masque de la méconnaissance, des leçons du passé
et de leurs suites.
Une discussion ouverte par Edouard Claparède en 1915 va marquer
un des grands reproches que l'on fait habituellement à Freud.
On critique sa notion de sexualité infantile qui lui fait écrire
: "Dire que le plaisir de téter est un plaisir sexuel n'a
à mon avis aucun sens." En 1922, le Dr Charles Trepsat,
indulgent mais prudent, écrit : "J'estime qu'en présence
d'un malade (tout au moins d'un Français ou d'un Latin), il faut
faire de la psychanalyse sans le crier sur les toits, sans le dire au
patient lui-même ; il faut penser toujours à ce procédé
thérapeutique, l'employer quelquefois et n'en parler jamais."
Des attaques à la mesure de l'enthousiasme qu'elle éveille
Mais l'un des premiers ardents polémistes, en France, est le
professeur Yves Delage, psychologue qui écrit en 1918, dans la
revue La Table ronde: "Le psychoanalyste est un juge d'instruction,
un inquisiteur doublé d'un érotomane et c'est parce qu'il
a trouvé dans l'exercice de la psychoanalyse la satisfaction
de sa manie érotique qu'il aime son mal, comme le dipsomane,
le cocaïnomane, le morphinomane aiment leur poison." Il y
reviendra en 1920, peu désireux de lâcher son os : "Freud
restera le type d'un esprit faux qui, asservi à des conceptions
systématiques, s'est laissé entraîner à attribuer
un caractère universel à un facteur qui ne s'applique
qu'à des cas particuliers, ce qui l'a entraîné à
torturer les faits et les explications pour les faire cadrer avec son
idée préconçue : il a attribué à
la mentalité humaine une déformation tératologique
dont il était la principale victime."
Ce reproche sera souvent répété. Comme les remarques
que fait, dès février 1923, Emile Adam dans sa thèse
de doctorat en médecine : "Ce dogme (le mot est de M. P.
Janet qui avec d'autres auteurs, en particulier des auteurs américains,
a paru quelque peu étonné du "caractère mystique
de ces études sur la sexualité") a ses rites et ses
adeptes, nous allions dire ses prêtres." Il ajoute : "Aussi
avons-nous été étonné de ne voir nulle part
Freud faire allusion à la confession. Il déclare, dans
La psychologie de la vie quotidienne, être israélite ;
ce n'est point là, ce nous semble, une raison pour un psychologue
averti d'ignorer la psychologie du catholicisme."
Les attaques vont de pair avec le début de la pénétration
de la psychanalyse en France grâce à l'enthousiasme qu'elle
éveille chez les littérateurs. D'où le concert
de remarques du type de celle relevée dans Le Phare de Nantes
sous le titre "Un nouvel asphyxiant" : "Le dernier en
date, dont les émanations menacent de nous suffoquer, c'est la
fameuse psychanalyse du fameux professeur Freud, Viennois de naissance,
certes, mais d'âme combien boche." Quant aux littérateurs,
"après avoir proustifié, on va freudifier... Naguère
nous nous contentions de subir notre lot annuel du roman libidineux.
[...] Maintenant outre que cela sera sale, ce sera embêtant."
Israélite... Boche... Freud remarquera à propos de ces
résistances, en 1925 dans la Revue juive: "Je ne peux, sous
toutes réserves, que soulever la question de savoir si ma qualité
de Juif, que je n'ai jamais songé à cacher, n'a pas été
pour une part dans l'antipathie générale contre la psychanalyse.
Pareil argument n'a été que rarement formulé expressément."
Léon Daudet, le fils d'Alphonse, écrivain et éditorialiste
de la revue monarchiste qu'il a contribué à fonder, L'Action
française, bien connue pour ses opinions d'extrême droite
qui feront le lit de la collaboration durant l'occupation par les nazis,
déclenche un combat vigoureux. Il débute hardiment en
février 1926 une série d'articles par celui intitulé
"Un bobard dangereux : freudisme et psychanalyse" et annonce
: "Je compte m'occuper ici du fatras de M. Freud, en sachant parfaitement
que j'enfonce des portes ouvertes et que je piétine de la vaisselle
cassée. "Il est des morts qu'il faut qu'on tue", dit
un excellent aphorisme. [...] ce plagiaire de Freud, cet abruti - car
c'est le seul terme qui lui convienne."
Deux jours plus tard, il précise dans "La putréfaction
intellectuelle. Le cas de Freud" le point qui lui semble sensible
: "La "tarte à la crème" - et quelle crème
empoisonnée ! - de Freud, c'est le refoulement. [...] Mais où
les symptômes de putréfaction intellectuelle apparaissent
le plus nettement, c'est dans le pansexualisme de Freud."
Un commentaire enthousiaste de ces articles, paru dans L'Express du
Midi, ajoute : "Je ne pense pas que l'on ait fait suffisamment
observer que le freudisme n'était au fond, sous son masque pseudo-scientifique,
qu'une caricature odieuse et niaise du dogme catholique. [...] Il n'y
a qu'une réponse à faire à tout ce qui vient de
Bochie : celle de Mussolini."
En effet, après la marche sur Rome en 1922, Mussolini a établi
sa dictature en décembre 1925. Qu'en pensait Freud ? Il l'avait
auparavant précisé en 1923 par une réflexion à
Edoardo Weiss, son représentant en Italie : "Ne doutez pas
que l'avenir appartiendra à la psychanalyse, même en Italie.
Seulement il faudra attendre longtemps", et par une lettre à
George Viereck en 1928, dans laquelle il évoque son incapacité
à "éprouver une profonde sympathie [pour des]despotes
tels que Lénine ou Mussolini". Sans doute ces termes complètent-ils
sa réponse de 1933, avec l'envoi de Pourquoi la guerre ? : "De
la part d'un vieil homme qui reconnaît dans le Duce le héros
de la civilisation", au livre que Mussolini lui avait adressé
avec les mots suivants : "A Sigmund Freud che renderà migliore
il mondo, con ammirazione e riconoscenza." Il lui fallait certes
saluer son appui aux recherches archéologiques, mais aussi avant
tout préserver Edoardo Weiss et la psychanalyse des risques que
leur faisaient courir les fascistes et l'Eglise catholique.
En 1939, c'est A. Savoret qui, dans son livre L'inversion psychanalytique,
proclamera que "[la psychanalyse] fait des disciples de Freud des
ennemis irréductibles de la religion, de la sainteté du
foyer, de l'autorité spirituelle parentale. [...] La psychanalyse
est liée aux Loges maçonniques et caractérisée
par la "griffe" aisément reconnaissable qui a marqué
ces fronts bas du Sceau de la Bête. [...] En ce qui concerne l'attitude
antireligieuse, il est au moins curieux de constater le touchant accord,
quant au fond, entre le Juif Sigmund Freud et le super Aryen Hitler".
Un ensemble de faits depuis longtemps réunis
Mon relevé s'arrête là car la guerre et l'Occupation
font tomber un silence glacial sur Freud et la psychanalyse. Dans le
prochain volume que j'entreprends, La France et Freud, 1946-1981, je
rajouterai quelques couches à ces peintures grimaçantes
qui sont balayées par le vent de l'Histoire.
Des alternances de mode et de rejet ont toujours marqué l'existence
de la psychanalyse et je rappellerai que Freud, en 1914, avait déjà
écrit : "Au cours des dernières années, j'ai
pu lire peut-être une douzaine de fois que la psychanalyse était
à présent morte, qu'elle était définitivement
dépassée et éliminée. Ma réponse
aurait pu ressembler au télégramme que Mark Twain adressa
au journal qui avait annoncé la fausse nouvelle de sa mort :
"Information de mon décès très exagérée".
Après chacun de ces avis mortuaires, la psychanalyse a gagné
de nouveaux partisans et collaborateurs ou s'est créé
de nouveaux organes. Etre déclaré mort valait quand même
mieux que de se heurter à un silence de mort."
Comme leurs prédécesseurs, la plupart de ses adversaires
publiés récemment voient dans la "Psychanalyse"
un mode de pensée clos qui est totalement condamné à
partir du moment où l'on trouve son maillon faible. Je ne m'accorde
pas avec eux car j'estime que les idées de Freud nous conduisent
à une mise en doute systématique, à la Montaigne,
de tous les phénomènes psychiques et de toute explication,
de quelque côté qu'elle vienne. A partir du moment où
l'on met un point final au doute en affirmant : "Freud est un escroc",
"les interprétations sont arbitraires" ou "la
psychanalyse est...", on rejoint le "Tu es un voleur !"
dans lequel Jean-Paul Sartre voyait une fermeture du destin de Jean
Genet.
A l'affirmation, par Michel Onfray, de la propagation d'une "version
féerique d'un homme génial découvrant tout seul
le continent vierge de l'inconscient", je répondrai par
la réflexion que Freud fit en 1930 à Smiley Blanton, l'un
de ses analysés. Il y reprochait à bien des critiques
: "On dirait que pour eux l'analyse est tombée du Ciel ou
sortie de l'Enfer, qu'elle est figée, tel un bloc de lave et
non pas construite à partir d'un ensemble de faits lentement
et péniblement réunis au prix d'un travail méthodique."
Je ne cite pas les réponses qu'après Freud les psychanalystes
ont apportées aux attaques portées à la théorie
et à la pratique de l'analyse. Elles sont tout aussi nombreuses.
Je ne fais aussi qu'évoquer l'intérêt que je prendrais
à rechercher chez ses détracteurs l'origine d'un tel attachement
à Freud. La haine n'est-elle pas le second visage de l'amour
?
Les pensées de Freud et leurs suites ont été le
ferment subtil de l'évolution qui a ouvert aux cent années
de leur parcours au coeur de la civilisation occidentale une liberté
nouvelle de parole, particulièrement sur la sexualité
adulte et enfantine, un chemin vers l'émancipation des femmes,
une réflexion sur les motifs inconnus qui inspirent nos actes,
sur la précarité de la vérité de nos souvenirs,
sur d'autres façons d'écrire notre histoire... Le temps
de la séance analytique en est le lieu permanent de redécouverte.
J'emprunterai une autre conclusion à la sagesse arabe : "Les
chiens aboient, la caravane passe."
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 Par
Michel
Onfray, publié le 09/03/2010 à 08:00 |
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Michel Onfray répond à de Mijolla: "Pas de haine contre
Freud" |
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1. D'abord je souhaiterais rendre hommage à
Alain de Mijolla qui a été le seul à accepter
de débattre jadis avec l'un des auteurs du Livre noir de la
psychanalyse à l'époque de la campagne de presse calomnieuse
et indigne qui a accueilli la parution de ce remarquable ouvrage d'histoire
des idées. Ensuite le remercier d'avoir bien voulu réagir
sur quelques pages arrachées à un livre qui en comporte
plus de six cents dans lesquelles il trouverait des occasions de réponse
à quelques-unes de ses objections - par exemple, sur la dilection
de Freud pour l'austro-fascisme de Dollfuss et celui de Mussolini,
doublée d'une constante critique du communisme, sur sa collaboration
avec le régime nazi pour que la psychanalyse puisse être
maintenue dans le Reich, etc.
2. Que mes critiques ne soient pas neuves ? En effet.
Et je n'ai jamais eu l'intention de me présenter comme novateur.
Je rends d'ailleurs hommage dans ma bibliographie à ceux qui,
Jacques Van Rillaer et Mikkel Borch-Jacobsen en tête, m'ont
ouvert les yeux sur ce sujet.
En revanche, j'offre une lecture qui, il me semble, n'a jamais été
proposée et qui met en perspective la vie et l'oeuvre sur le
principe nietzschéen qu'une pensée est toujours la confession
autobiographique de son auteur. La "science" freudienne
devient alors une banale philosophie existentielle - ce que n'est
pas la science d'un Copernic ou d'un Darwin dans le lignage duquel
Freud prétendait s'inscrire...
3. Que la haine soit l'autre visage de l'amour, qu'on
me permette de douter... D'abord parce qu'il n'y a pas de haine chez
moi contre Freud et la psychanalyse, ensuite parce qu'on peut critiquer
sans haïr - une position épistémologique dont nombre
de critiques des critiques de la psychanalyse semblent, eux, incapables...
Ajoutons que, pour faire un peu de casuistique, toute haine d'une
victime juive contre son bourreau nazi me semble loin de signifier
chez elle un autre nom de l'amour ! Il faut en finir avec ce genre
de pseudo-argument freudien que le rien est l'une des modalités
du tout, que le blanc est l'une des modalités du noir, que
la critique (ouverte) de Freud est l'une des modalités (inconsciente)
de l'amour de Freud...
4. Que toute critique de la psychanalyse soit à
mettre systématiquement en perspective avec les critiques venues
de l'extrême droite, du nazisme, de l'antisémitisme,
de l'antimaçonnisme, du fascisme, du pétainisme est,
qu'on me permette cette fois-ci d'utiliser l'argument d'Alain de Mijolla,
une vieille technique qui déshonore ceux qui l'utilisent.
Pétainiste, Kraus ? Nazis, Deleuze et Guattari ? Fasciste,
Popper ? Antisémite, Wittgenstein ? Extrémiste de droite,
Sartre ? Allons, soyons sérieux... On ne gagne rien à
pratiquer l'amalgame sinon... éviter de débattre et
passer sous silence les arguments qu'on aurait à opposer à
son contradicteur s'ils existaient véritablement...
Dès lors le débat n'est pas un débat. Face à
toute critique de Freud, du freudisme et de la psychanalyse, les thuriféraires
du Docteur viennois illustrent le réflexe pavlovien et bavent
les mêmes insultes au premier coup de sifflet. Si j'étais
freudien, ce qu'à Dieu ne plaise, je dirais que ce venin sous
couvert de sagesse arabe n'est jamais que l'autre nom de l'amour que
me porte Alain de Mijolla ! Mais comme je ne suis pas freudien, je
consens à sa conclusion : "Les chiens aboient, la caravane
passe" - en me réjouissant cette fois-ci que les chiens
aient changé de côté.

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à propos des chiens,
s'agit-il vraiment des chiens dont parlent les Arabes ou des chiens
de garde, à moins qu'il s'agisse de ces chiens en peluche que
l'on installait naguère sur la plage arrière des voitures
et qui opinaient inlassablement du bonnet…
TN
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