Tobie Nathan
     
mis à jour le lundi 2 ao˚t, 2010 23:46
     

un portrait de Tobie Nathan dans Lire N° 387 — juillet-août 2010 par Julien Bisson

"Le Marabout de l’histoire"

et le même article dans l'Express :

Qui a tué Arlozoroff? par Tobie Nathan

Par Julien Bisson, publié le 19/07/2010 à 07:00

http://www.lexpress.fr/culture/livre/qui-a-tue-arlozoroff_906020.html

Pionnier de l'ethnopsychiatrie, Tobie Nathan se montre également romancier de talent. Avec Qui a tué Arlozoroff ?, il nous entraîne dans une folle escapade historique, mêlant création d'Israël, meurtres politiques et amours interdites entre un dirigeant juif et la femme de Goebbels.

 

Tobie Nathan n'est décidément jamais là où on l'attend. On imaginait ce professeur de 62 ans rivé à son service d'ethnopsychiatrie, cette spécialité médicale qu'il a contribué à populariser en France : il a été promu au rang de diplomate, comme conseiller culturel dans les ambassades françaises. On avait récemment croisé sa coiffe cendrée à Tel-Aviv : il officie désormais à Conakry, dans la moiteur guinéenne. Surtout, on le croyait auteur de polars mêlant réalités sociales et maladies mentales, et le voici, dans son nouveau roman, chevauchant le grand vent de l'Histoire ! Enquête passionnante sur un épisode méconnu de l'entre-deux-guerres, Qui a tué Arlozoroff ? s'impose d'ores et déjà comme son meilleur livre et - sans doute - le plus personnel.


On ne s'étonnera donc pas d'y reconnaître, dès les premières pages, sa silhouette de dandy Belle Epoque en la personne d'un certain Ezra Moreno, alter ego à peine déguisé et décrit non sans humour comme un "petit cultureux binoclard à noeud pap". Outre le respect de ce code vestimentaire tiré à quatre épingles, notons que ce journaliste juif en mission à Tel-Aviv partage avec Tobie Nathan des origines égyptiennes : tous deux sont nés au Caire en 1948, en plein coeur de la première guerre israélo-arabe, avant d'être contraints à l'exil par l'expédition franco-britannique de Suez. Mais les comparaisons s'arrêtent là entre l'auteur et son héros.

 

Débarqué en 1957 du côté de Gennevilliers, le jeune Tobie a longtemps hésité à la croisée des chemins, entre études scientifiques et vocation littéraire. A 14 ans, cet enfant du Nil rédige son premier texte, repéré par la romancière d'origine polonaise Anna Langfus (Prix Goncourt en 1962 pour Les bagages de sable). Mais il opte finalement pour la psychologie sous l'égide de Georges Devereux, l'un des premiers à soutenir que les maladies mentales se soignent de façons diverses selon les cultures. Pour cet héritier du cosmopolitisme oriental, c'est une révélation. Dès 1979, il crée la première consultation d'ethnopsychiatrie à l'hôpital Avicenne, avec un succès certain parmi les migrants. Sa méthode, pourtant, fait débat. L'emploi des marabouts et des rituels indigènes hérisse ses collègues. Quant à ses positions ambiguës, sur l'excision notamment, elles passent mal auprès des médias. On l'accuse de relativisme culturel, de sorcellerie. Mais ce franc-tireur n'en a cure, sûr de son efficacité.

Qui a tué Arlozoroff?
Paris, Grasset, 2010


L'expression d'un mystère insoluble

Non content de développer ses théories dans de nombreuses publications scientifiques, ce fidèle lecteur de Balzac et de Singer les explore depuis une vingtaine d'années en littérature, au fil de polars parus pour la plupart chez Rivages. Sombres et hallucinés, ses livres sondent les bas-fonds de la société française, des affres de l'immigration (Saraka Bô) aux ravages de la drogue (Dieu-Dope), en passant par les traumatismes post-11 Septembre (Serial eater). "Le polar est un genre qui me permet de pénétrer n'importe quel milieu, de l'habiter et de lui donner vie."


En dépit de son titre énigmatique, Qui a tué Arlozoroff ? ne relève pas, cette fois, du roman policier à proprement parler. En Israël, cette interrogation marque, en effet, l'expression d'un mystère insoluble, d'un coupable introuvable. Car nul n'a jamais su qui a assassiné Haïm Arlozoroff, le soir du 16 juin 1933, sur une plage de Tel-Aviv. Figure politique méconnue en France, mais fondamentale en Israël, ce jeune leader du Mapaï prônait un sionisme d'extrême gauche, appelant à la création d'un Etat ouvert aux Arabes comme aux Juifs. "C'est sur le cadavre d'Arlozoroff que le sionisme de gauche a pris son essor, nous explique Tobie Nathan. Celui-ci tenait la droite pour responsable de sa mort, ce qui a durablement marqué le paysage politique israélien."

Au-delà des querelles partisanes, c'est un autre volet de la vie d'Arlozoroff qui intéresse le romancier. Durant son adolescence, le futur diplomate juif entretint une relation passionnée avec une jeune Allemande du nom de Magda Friedländer, qui deviendra plus tard tristement célèbre sous le patronyme de Magda... Goebbels ! "Il est établi que, au lycée, Magda était une condisciple de Lisa, la jeune soeur d'Arlozoroff, et qu'elle fréquentait sans doute leur maison", souligne Tobie Nathan, se référant aux nombreuses biographies publiées sur sa personne. "Il est probable que durant cette période Magda ait été conquise par la cause sioniste et qu'elle ait même envisagé un temps d'émigrer en Palestine avec Arlozoroff." Imaginer l'incarnation même de l'Allemagne nazie, selon Hitler, en supporteur de la cause juive n'est pas la moindre audace de ce roman. D'autant que, d'après l'auteur, les deux amants auraient continué à se fréquenter secrètement, jusqu'au début des années 1930, y compris après le mariage de Magda et du docteur Goebbels.

Faut-il voir un lien entre cette passion improbable et le meurtre d'Arlozoroff, six mois seulement après l'accession d'Hitler à la Chancellerie ? A-t-on voulu faire disparaître les preuves de cette union interdite ? Et qu'en savait le dénommé Mordekhaï Monco, survivant des camps devenu espion pour le Mossad, avant d'être abattu en pleine ambassade de France, durant la garden-party du 14 Juillet ? Autant de questions auxquelles devra répondre Ezra Moreno tout au long de ce fascinant récit, qui essaie de comprendre la relation incestueuse et quasi mystique entre le Reich et Israël. A travers le personnage vénéneux de Magda Goebbels, déesse noire mue par des forces occultes, Tobie Nathan dia-gnostique ainsi une forme de "sorcellerie cannibalique" des nazis envers les Juifs. "Comment expliquer autrement qu'en 1944 encore, alors que l'Allemagne nazie va de défaite en défaite, l'armée allemande ne trouve rien de mieux à faire que de consacrer son énergie, son matériel et son temps à capturer un à un les Juifs de Budapest ? s'interroge-t-il à voix haute. Je prétends ici que les nazis sont comparables à un groupe de sorciers se nourrissant de la chair des Juifs, qui se régénèrent par la mort de leurs proies, comme s'ils se repaissaient de leurs vies."

Cette dernière hypothèse ne manquera pas de susciter des débats chez les historiens. Elle sert en tout cas de socle à cette fresque haletante, digne d'Alexandre Dumas pour son cortège de mystères et de complots. Oscillant sans cesse entre réalité et fiction, Tobie Nathan nous entraîne aux origines mêmes de l'Etat hébreu, dans ces années 1920 qui ont décidé du sort du monde. Avec limpidité et érudition, il brosse, comme nul autre, ces soubresauts de l'Histoire, sans se départir de l'impertinence des esprits malins. Il n'en faut pas davantage pour bâtir un grand roman populaire, dont on pressent déjà qu'il mériterait de venir chatouiller la liste des best-sellers de l'été...

 

 
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