Jean Luc Swertvaegher est psychologue
Tobie Nathan est professeur de psychologie à l'Université Paris 8

Un compte-rendu dans Esprit et vie ; Une recension de Jean Michel Zucker
 
 

Tobie Nathan

Jean-Luc Swertvaegher

Sortir d'une secte

 

 

 

 

 

 

 

aux Empêcheurs de penser en rond/ Le Seuil

 

4ème de couverture :

Si un jour vous constatez que les sentiments qui découlent de l’évidence du réel – comme d’aimer ses parents ou d’aimer ses enfants – vous sont devenus inaccessibles…

Si un vieux copain de lycée vous propose de dîner avec lui et que vous lui répondez que vous ne pouvez pas, de peur de manger des nourritures interdites ou d’être amené à lui parler de sujets dont il se moquera…

Si vous êtes convaincu qu’une personne précise a découvert une vérité qui a permis de remettre le monde en ordre…

Si vous vous apercevez que votre activité sexuelle est assujettie à un autre but que la seule sexualité (Dieu, le Bien, la circulation de l’énergie cosmique…)

Si on vous propose de développer des capacités que "tout le monde a en soi" – des capacités de guérir, de prédire, de ressentir les vibrations magnétiques…

Si vous vivez dans un environnement où l’argent n’a pas la même valeur que dans la société globale ; s’il s’impose par exemple à votre esprit qu’il est seulement un symbole ou la "preuve d’un investissement affectif"…

Si "l’initiation" qu’on vous a promise donne accès à des grades quantifiés, ordonnés selon une échelle…

Inquiètez vous de la nature du groupe qui vous entoure !

 

317 pages — 24 €

dans les bonnes librairies

 

Présentation — Le Seuil
 

"L’attrait pour les sectes repose sur une promesse d’initiation, qu’elles se montrent incapables de satisfaire. Dès lors, les personnes se retrouvent comme suspendues dans le vide, contraintes à recruter toujours de nouveaux adeptes…Les adeptes pensent les sectes porteuses de solutions alors qu’elles se révèlent brûleuses d’énergie mentale. Les sectes mettent au travail, exploitent, accumulent l’argent afin d’augmenter leur pouvoir, multipliant leurs activités pour pénétrer de nouveaux territoires. Elles détournent les candidats de leurs appartenances initiales, familiales, universitaires…On les croit liantes alors qu’elles s’attachent à délier. Elles se saisissent toujours d’individus, jamais de groupes ; ainsi, quand elles accueillent des couples, c’est pour les séparer tôt ou tard.


C’est en recevant des dizaines de personnes victimes de sectes dans les consultations collectives du Centre Devereux (en collaboration avec l’ADFI) où elles étaient considérées comme des expertes, que Tobie Nathan et Jean-Luc Swertvaegher ont pu comprendre le fonctionnement des sectes. Partant de l’expertise des personnes sur ce qu’elles ont vécu, ils ont pris en charge psychologiquement Sylvie, Jacques, Jeanne, etc qui sortaient de la scientologie, de Moon, etc."

 

Le bonheur, un monde meilleur.
Une recension par Marlyse Tschui

Les promesses des sectes attirent sans cesse de nouveaux membres. A Paris, le centre Devereux aide les ex adeptes à se reconstruire. Rencontre avec le psychologue jean-Luc Swertvaegher

"Ce n'est pas à une secte qu'ils adhèrent, mais à des propositions généreuses, à une promesse de transformation de soi et du monde."

"Est-ce que vous me croyez ou est-ce que vous me prenez pour un dingue?" Cette question revient régulièrement dans la bouche des ex-adeptes de mouvements sectaires qui débarquent au Centre Georges-Devereux, une petite unité psychiatrique créée à Paris par l'ethnopsychiatre Tobie Nathan. Ceux dont la vie a été bouleversée par l'appartenance à un mouvement sectaire ont souvent du mal à reprendre pied.

Ils avaient adhéré à un mouvement avec l'espoir puis la certitude de devenir des êtres meilleurs. Ils y avaient rencontré la fraternité, la convivialité, les aventures partagées. Ils croyaient dur comme fer à une vérité "supérieure", lui sacrifiant leur liberté et leurs facultés de raisonnement, mais aussi souvent leur famille et leur argent. Leur rêve s'est écroulé.
Déboussolés, incompris, ils cherchent de l'aide mais hésitent à se confier.

Comment faire confiance au psy alors qu'on a été si longtemps berné par le gourou et ses sbires? Comment le convaincre que le récit des activités parfois insensées auxquelles on s'est livré pour faire acte d'allégeance au groupe n'est pas le fruit d'un esprit délirant?
Pour la plupart, les ex-adeptes ont renoncé évoquer ce qu'ils ont vécu, car ils sentent que les autres les considèrent comme des êtres névrosés et crédules.

"Selon une croyance largement répandue, seules des personnes paumées et particulièrement fragiles se laisseraient entraîner dans des sectes, déclare le psychologue Jean-Luc Swertvaegher. Mais notre recherche prouve que c'est faux. Certains adeptes sont très équilibrés et insérés dans la société. L'attrait pour un tel mouvement se manifeste chez des gens à la recherche d'idées nouvelles, séduits par l'idée de l'émergence d'une spiritualité universelle. Ce n'est pas à une secte qu'ils adhèrent, mais à des propositions généreuses, modernes et intéressantes, à une promesse de transformation de soi et du monde."

C'est ce qui ressort d'une recherche menée pendant quatre ans par l'équipe du Centre Devereux. Les résultats de ces travaux ont été publiés dans un livre* qui tord le cou à un autre préjugé selon lequel les personnes enrôlées dans les sectes seraient soumises à un lavage de cerveau. Tel n'est pas le cas. Le processus est bien plus subtil.

Un engagement total

C'est souvent à l'occasion d'une conférence ou d'un séminaire que les gens entrent en contact avec une institution qui leur propose une initiation à des techniques censées accroître leur bien-être, à un savoir plus ou moins ésotérique.

Accueillies dans une communauté chaleureuse qui leur offre de se perfectionner en vue de la construction d'une société idéale, les personnes entrant dans une secte acceptent sans y être contraintes les règles qui devraient permettre d'atteindre cet objectif. Se donnant à fond, suivant régulièrement de nouvelles formations censées leur permettre de monter en grade dans la hiérarchie des initiés, elles finissent par appartenir corps et âme à l'organisation, à qui elles consacrent tout leur temps et leur argent. Il s'écoule souvent plusieurs années avant qu'elles ne prennent conscience qu'elles ont perdu leur liberté de penser et les liens qui les rattachaient à leur famille et à leurs amis. Que la réelle visée des responsables de l'organisation ri est autre que l'enrichissement et le goût du pouvoir.

Les sectes cachées


Lorsqu'on entend le mot "secte", on pense aussitôt à ces multinationales à but lucratif que sont la secte Moon ou la scientologie. Mais dans l'ombre se profilent d'innombrables réseaux et organisations locales qui dissimulent leurs agissements derrière une façade inoffensive. "Le panorama sectaire est vaste, explique Jean-Luc Swertvaegher. Les groupements qui le composent s'installent dans des créneaux correspondant à des interrogations auxquelles la société, l'Eglise ou la médecine n'apportent pas de réponses satisfaisantes. C'est ainsi qu'on trouve des communautés à caractère sectaire parmi les sociétés secrètes initiatiques, les milieux pratiquant l'occultisme et les communautés nées dans l'univers mouvant des thérapies parallèles ou du développement personnel."

L'appellation "thérapeute" et "psychothérapeute" n'étant pas protégée, n'importe qui peut prétendre soigner autrui grâce à n'importe quelle méthode, même la plus farfelue. Ils sont nombreux les gourous qui promettent à leurs fidèles l'accès au bonheur et à la santé pour autant que ceux-ci se montrent suffisamment persévérants.
Méfiance, méfiance

Comment savoir si un groupe fonctionne sur le mode sectaire? Se présentant comme le détenteur d'une vérité universelle, son "maître à penser" vous persuade que vous accéderez à des connaissances qui feront de vous un être nouveau. Il vous propose de développer des dons que vous avez sans le savoir, et même des capacités surnaturelles qui vous permettront d'entrer en relation avec des esprits ou des entités invisibles. Si vous n'adhérez pas inconditionnellement à la doctrine, c'est que vous n'avez pas encore suffisamment progressé. Si vous exprimez un désaccord, le groupe se mobilise pour vous remettre sur le droit chemin. Même votre vie privée ne vous appartient plus, car vous êtes censé suivre à la lettre les recom
mandations qui régissent vos relations avec autrui, y compris en rompant avec les membres de votre famille qui ne partagent pas vos opinions.

D'une manière générale, le monde extérieur au groupe est disqualifié. Votre manière de vous nourrir et de vous soigner, vos loisirs, vos paroles sont étroitement surveillés. Ce qui intéresse la secte? Votre argent, bien sûr. La somme que vous êtes prêt à payer pour vous acheter une nouvelle voiture, ne vaudrait-il pas mieux l'investir pour le salut de votre âme? C'est ainsi que, désireux de vous perfectionner et nourrissant le secret espoir de faire un jour partie de l'élite, vous suivez un cours, puis une formation plus spécialisée, une autre encore. L'astuce, remarque Jean-Luc Swertvaegher, "c'est de toujours reporter au lendemain la fin de l'initiation".

Désillusion

"La plupart du temps, les gens quittent la secte lorsqu'ils se rendent compte que les promesses qui leur ont été faites n'ont pas été et ne seront jamais tenues, précise le psychologue. Une fois ce pas franchi, ils restent très marqués par la pensée de la secte et sont là, comme suspendus entre deux mondes. Ils se sentent seuls et font souvent l'objet de harcèlement de la part des membres de la secte. Tous parlent d'un "arrêt de la pensée", des difficultés qu'ils éprouvent à prendre des décisions; 88% de ceux qui vien nent nous consulter souffrent de dépression. Ils évoquent leur solitude et leur manque d'énergie. L'un d'eux nous a déclaré: "Je n'arrive plus à me faire ma propre opinion. Je me demande toujours si l'on ne cherche pas à me manipuler." Les doutes exprimés par les ex-adeptes nous ont obligés à nous interroger sur nous-mêmes: quelles étaient nos intentions?

Il est clair que nous ne nous sentons pas autorisés à leur proposer une autre vérité. Pour éviter que l'ex adepte se retrouve seul face à un professionnel armé de ses théories, l'équipe du Centre Devereux a mis en place des dispositifs qui prévoient la présence de personnes faisant partie de l'entourage du patient. "Notre approche consiste à nous adapter aux patients à partir de leurs forces et non de leurs faiblesses." Jean-Luc Swertvaegher ajoute: "Notre mission n'est pas de militer contre les sectes, mais de venir en aide aux personnes le plus efficacement possible."

*"Sortir d'une secte", Tobie Nathan
et Jean-Luc Swertvaegher.
Ed. Les Empêcheurs de penser en rond, 2003.
58

Marlyse Tschui

Tobie Nathan et Jean-Luc Swertvaeger, Sortir d’une secte, Les Empêcheurs de penser en rond/Le Seuil, 2003, 316 pages, 24 €
une recension dans Etudes Tome 398 2003/3



Sans prétendre indiquer la voie unique pour se sortir d’une secte, les auteurs, de façon très pratique, en proposent une qui a fait ses preuves, la leur. Elle consiste à s’adresser à deux institutions. D’abord aux Associations de défense de la famille et de l’individu (ADFI, http:// www. unadfi. org/ ). « [Celles-ci] sont animées par de nombreux bénévoles et assurent directement un soutien auprès des personnes et des familles confrontées à une problématique sectaire. En ce sens, les ADFI fonctionnent comme de véritables associations d’usagers » (p. 281). Et si une aide de type psychologique s’avère nécessaire, il est recommandé de s’adresser au dispositif du Centre Georges-Devereux (Université Paris 8), dont Tobie Nathan est le principal animateur. Les deux institutions opèrent de concert, la première pour l’accueil des évadés des sectes, la seconde pour une prise en charge libérante et souvent libératrice. Ces deux institutions sont assez connues pour qu’il ne soit pas utile de les présenter et de les recommander davantage. Le livre est le résultat du travail sur trois ans d’une équipe composée de vingt-quatre chercheurs ou praticiens appartenant à la famille étendue des sciences humaines. Il est habilement composé et ne souffre pas de la diversité des collaborateurs, qui conservent l’anonymat dans le texte, ni du nombre des cas exemplaires présentés. Je relève un point essentiel du livre : on nous alerte sur la fausse apparence de la liberté retrouvée. Ainsi le transfuge peut-il demeurer longtemps dépendant, en son for intérieur, de ses anciens maîtres dont il croyait s’être détaché. Cela vient de la profondeur du lien noué. Son âme a été, pour ainsi dire, capturée. Il y allait dans l’espoir de trouver un nouveau monde où se réaliser. S’il a pu s’échapper, c’est qu’à un moment ou à un autre du processus (parfois après des années), il découvre que les promesses faites n’ont pas été tenues. Elles ne le peuvent pas, remarquent les auteurs du livre. Cela fait partie de l’essence même d’une secte : sa stérilité. L’hypertrophie de l’argent et du sexe n’est que le champ où se déploie cette quête impossible. Les sectes les plus citées sont Moon, la Scientologie et les Témoins de Jéhovah. Mais, le même mécanisme de l’espoir et de la déception se retrouve dans des groupes plus secrets, plus inattendus, et aussi, comme le constatent les auteurs au passage, dans certaine formes de vie religieuse consacrée (p. 124) – partout, en somme, où sont réunies les conditions d’exercice d’une pratique perverse du pouvoir.

Eric de Rosny

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http://ethnopsychiatrie.net