Le Monde daté du vendredi 12 janvier 2001

 

 

Le retour des Empêcheurs

Après la reprise par Le Seuil, Philippe Pignarre continue la publication de " livres déstabilisants " dans le domaine des sciences humaines.

Après six mois d´absence sur la scène éditoriale, les Empêcheurs de penser en rond sont de retour, installés dans une petite officine parisienne à deux pas du faubourg Saint-Denis. Créée en 1990 par Philippe Pignarre, cette collection originale fut d´abord la vitrine d´un laboratoire pharmaceutique, d´où sa première et quelque peu ésotérique appellation d´Institut Synthélabo pour le progrès de la connaissance. Mais elle ne résista pas aux mesures de " rationalisation " qui accompagnèrent la fusion de Synthélabo avec Sanofi. Remercié en février 2000, Philippe Pignarre n´eut cependant guère de mal à rebondir : pas moins de cinq maisons d´édition se disputèrent la reprise d´un catalogue déjà prestigieux, qui avait réussi à se tailler une jolie place au sein d´un marché des sciences humaines pourtant bien mal en point (voir " Le Monde des livres " du 28 janvier 2000).

C´est finalement Le Seuil qui ouvre ses portes à Philippe Pignarre et à Catherine Bousquet ; le tandem frondeur apprécie l´expérience et les infrastructures que la maison de la rue Jacob met soudain à sa disposition : " A Synthélabo, souligne Philippe Pignarre, je m´occupais de toute la communication, et notamment du journal interne. Aujourd´hui, on peut se consacrer à 100 % au choix et à la réécriture des manuscrits ; on n´a même plus à se soucier de la fabrication, de la diffusion ou de la comptabilité, qui sont prises en charge par la maison. En même temps, on a perdu un peu de liberté, car cette fois on a affaire à des éditeurs qui connaissent le métier, et donc qui peuvent nous engueuler, voire nous mettre dehors ! "

 

VERS UN PUBLIC PLUS LARGE

Au Seuil, les Empêcheurs devront à coup sûr être plus vigilants quant à leur budget. Ils réduiront le nombre des publications à une douzaine par an (contre une trentaine auparavant) et se montreront plus restrictifs vis-à-vis des traductions, lesquelles firent la renommée d´une collection qui bénéficie de nombreux liens tissés à l´étranger, notamment dans le monde anglo-saxon. " Il faut viser l´équilibre. Nous mènerons donc à bien les traductions en cours, mais nous veillerons désormais à privilégier des ouvrages susceptibles de toucher un public plus large ", prévient Philippe Pignarre, en évoquant la traduction prochaine de l´excellent Freud et les Américains, de Nathan Hale.

Pour le reste, l´état d´esprit des Empêcheurs devrait demeurer inchangé : un travail éditorial tourné vers les sciences sociales, avec une prédilection pour " tout ce qui est psy ", ainsi que pour l´histoire et l´anthropologie médicales ; une volonté maintenue de bousculer les savoirs pour " empêcher les institutionnels de ronronner " ; une fibre militante, enfin, qui nourrit une tendresse particulière pour les essais engagés, courts et incisifs, ce que Philippe Pignarre appelle " les livres déstabilisants ".

A ne pas confondre avec les pamphlets : " Nous voulons éviter la dénonciation pure et simple, le côté "nous, on sait, et on va vous dire". Mieux vaut prendre au sérieux la controverse et choisir des textes minoritaires mais sérieux, ceux qui ajoutent quelque chose plutôt que ceux qui disqualifient les autres ", insiste Philippe Pignarre, qui parle avec passion de ses auteurs et s´enorgueillit de leur profil souvent hétérodoxe : dès février, il publiera Les Lendemains qui mentent, essai qu´un jeune philosophe revenu du management lui avait à tout hasard expédié par la poste. Devrait suivre, notamment, le témoignage d´une " sorcière " nommée Starhawk, militante féministe américaine experte en désobéissance civile, qui, dans les rues de Seattle, prit la tête de la résistance à la répression policière.

 

J. Bi.

 

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