Psychothérapie démocratique
 
mis à jour le Dimanche 3 Septembre, 2017 3:27
Tobie Nathan
 
Nathalie Zajde

Editions Odile Jacob, Paris, 27 avril 2012

287 pages, 22,90 euros dans les bonnes librairies…

Présentation

4ème de couverture


« Vous sentez que vous avez un problème. Peut-être les relations se gâtent-elles avec votre entourage, dans votre couple, dans votre famille, au travail… La psychothérapie peut vous être très utile.


Nous avons écrit ce livre pour vous, pour vous convaincre de faire une psychothérapie. Nous voudrions vous expliquer où cela peut vous mener, décrire le domaine, exposer les choix qui vous sont offerts, avertir des obligations que votre engagement impliquera, prévenir des dangers auxquels vous vous exposez, aussi.


Nous l’avons écrit parce que le domaine est opaque, comme protégé par une aura de secrets. Il n’est pas possible qu’en plein XXIe siècle, une profession travaille sans témoin, sans contrôle extérieur, parfois même sans évaluation. Nous avons essayé de tenir les deux engagements, et de dessiner les contours de ce que serait une psychothérapie adaptée au monde moderne, celle que nous appelons de nos vœux, une psychothérapie démocratique. »


T. N. et N. Z.

ISBN 978-2-7381-1905-6,
janvier 2011, 145 x 220,
256 pages. (21.90 ¤)
 
   
 

Tobie Nathan, Nathalie Zajde

Psychothérapie démocratique

en librairie le 27 avril 2012

Bonnes feuilles :

Extraits de la conclusion :

… la psychothérapie a souvent raté les rendez-vous sociaux. Si la psychanalyse est particulièrement remise en cause aujourd’hui, c’est que, obnubilée par ses postulats théoriques, elle n’a pas accordé suffisamment d’importance aux modifications de nos sociétés. On se souvient comment elle a perdu son crédit aux États Unis — qui fut pourtant sa terre d’élection —, dans les années 70, lorsqu’elle n’a pas perçu que la communauté gay devenait une véritable force sociale et qu’elle a continué à professer une théorie de l’homosexualité comme perversion, et donc comme « maladie ». Elle n’a pas su faire le constat de ses erreurs ; n’est pas parvenue à renoncer à ses concepts obsolètes. Elle a aussi raté le rendez-vous de la toxicomanie, en pleine épidémie de Sida, continuant à prôner l’abstinence comme préalable indispensable à tout travail thérapeutique — car ouvrant la voie à « l’élaboration » —, alors qu’il s’agissait de s’engager dans la distribution gratuite des seringues. Elle a raté d’autres rendez-vous cliniques fondamentaux, et en premier lieu celui de la nosographie, totalement bouleversée par l’introduction des nouvelles versions du DSM, alors qu’elle continuait à penser « névroses », « psychoses » et « fantasmes ». Les psychothérapies sont en passe d’en rater d’autres, celui du mariage homosexuel et de l’adoption des enfants au sein de couples homoparentaux, celui de la transsexualité et de toutes les nouvelles façons de poser la question du « genre », celui de la délinquance et du statut de « l’expertise » — on se souvient du scandale de l’affaire d’Outreau en 2004 et 2005 qui a curieusement épargné les « psy », alors que leur responsabilité était au moins aussi importante que celle des magistrats.


Il est vrai qu’on a confié une lourde charge à la psychothérapie, celle d’assurer la pérennité de l’âme de populations qui ne se reconnaissaient pas un même dieu. Car la psychothérapie est fille de la laïcité. Elle s’est installée là où des groupes sociaux ne comptaient plus sur les régulations religieuses et les attachements anciens pour penser la vie quotidienne, en gérer les accidents et en amortir les effets. Ainsi s’est-elle principalement développée dans les pays occidentaux de tradition chrétienne. Elle n’est nulle part aussi bien implantée que là. Comme nous l’avons fait remarquer tout au long du texte, les autres sociétés recourent à d’autres dispositifs de prise en charge, parfois religieux, parfois traditionnels. Les psychothérapies, cependant, continuent à penser qu’elles vont conquérir le monde, et qu’elles deviendront à terme hégémoniques. Ainsi, lorsque survient une catastrophe humanitaire, elles envoient leurs « missionnaires », à l’endroit des tremblements de terre, des tortures et des massacres. Et ceux-là essaient d’y installer les dispositifs occidentaux, avec d’autant plus de naïveté qu’ils sont, dans la plupart des cas, jeunes et inexpérimentés. En agissant ainsi, en continuant de croire à une victoire d’un monothéisme psychothérapique planétaire, les psychothérapies sont en train de rater le rendez-vous de la mondialisation. Les patients, eux, ne s’y sont pas trompés, qui circulent entre les mondes, essayant un rituel traditionnel ici, une initiation là et une psychothérapie encore ailleurs. Les patients ont compris de longue date que la mondialisation est nécessairement polythéiste et l’acceptent volontiers ainsi. Et c’est aussi dans les pays d’accueil des migrants — et notamment en France — que la psychothérapie a raté « l’ouverture ». J’ai créé la première consultation d’ethnopsychiatrie en 1980, à l’hôpital Avicenne de Bobigny[1]. J’y accueillais des patients provenant d’Afrique, d’Asie du Sud-Est, d’Amérique du Sud, dans leurs langues et selon la logique de leur monde. J’ai immédiatement intégré des traducteurs dans le dispositif clinique, des médiateurs, des témoins, des chercheurs. J’ai fait en sorte que la scène psychothérapique devienne un lieu ouvert, un lieu de débat contradictoire. J’ai été attaqué avec la plus extrême violence par mes collègues. J’ai été accusé de « fabriquer la différence », « d’enfermer les patients dans leur culture », comme si ces mots avaient le moindre sens lorsqu’il s’agit de thérapie. Je voulais seulement intégrer la psychothérapie dans le monde tel qu’il va. C’était sans doute trop tôt ![2]


C’est du cœur même de son métier que l’on attend la révolution démocratique des psychothérapies. La plupart du temps, les dispositifs cliniques, hérités du 19ème siècle, sont contraires à toutes nos habitudes démocratiques. Des lieux psychothérapiques surgissent des énoncés sur les personnes qui ne sont jamais soumis à débat contradictoire. Les séances se déroulent en secret, sans témoin, de quelque nature. Les traitements peuvent durer des années — quelquefois des décennies — sans que jamais une instance extérieure ne vienne demander des comptes. L’opacité régit l’univers de la psychothérapie, depuis la formation des professionnels jusqu’au déroulement des séances. La parole des usagers n’a aucune prise sur la constitution des corpus théoriques et sur l’établissement des récits de cas qui, pourtant, se constituent en modèles de témoignages.


Au terme de cet ouvrage que nous avons voulu sans langue de bois et sans concessions, je crains maintenant d’apparaître seulement comme un accusateur. Je n’ai certes pas hésité à parcourir les critiques légitimes que l’on peut — que l’on doit ! — adresser aux psychothérapies. Je les veux meilleures, je les veux modernes. Je me sens un passionné de la psychothérapie. Je reste persuadé qu’elle reste aujourd’hui le seul espace d’initiation personnelle, le seul lieu où l’on prend le temps de la rêverie et de la pensée. Mais je sais qu’elle ne demeurera telle que si on se donne les moyens de la rigueur et de la transparence. C’est à cette condition que la psychothérapie viendra prendre la place qui lui revient dans notre société.

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[1]. Dans le service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent dirigé alors par le regretté Professeur Serge Lebovici. À ma connaissance, cette consultation existe toujours.


[2]. Voir Tobie Nathan, « Psychothérapie et politique. Les enjeux théoriques, institutionnels et politiques de l’ethnopsychiatrie, Genèses, N°38, 2000, Figures de l’exil, 136-159. Voir aussi l’ouvrage que j’ai dirigé au moment du débat qui a suivi la publication du Livre noir de la Psychanalyse : sous la direction de Tobie Nathan, La guerre des Psy. Paris, Le Seuil-Les empêcheurs de penser en rond, 2006.

 
   
 
Critiques
Psychothérapie démocratique
30.04.2012 - 06:35
Il ne s’agit pas d’une invitation à profiter de la relative accalmie de la campagne électorale en ce pont du 1er mai pour entamer une cure de désintoxication, mais de faire entrer les psychothérapies dans le débat public sur le modèle de ce que font déjà les associations d’usagers qui posent sur ces thérapies des questions essentielles, de nature à faire progresser les connaissances et leur efficacité. Avantages et inconvénients des chimiothérapies sur la durée, de telle ou telle psychothérapie par rapport à l’affection envisagée, comme dans le débat sur la prise en charge de l’autisme, questions sur l’évaluation et les problèmes théoriques qu’elle pose, sur la formation, ou l’obtention du permis d’exercer, la déontologie : dans la mesure où ces pratiques, lorsqu’elles engagent la solidarité publique, doivent pouvoir être contrôlées et les dépenses consenties au bénéfice des traitements utilisées à bon escient, les auteurs plaident pour une approche citoyenne de ces questions, ne serait-ce que pour faire porter avec davantage de discernement l’effort public en direction de telle ou telle recherche.

D’autant que l’offre de psychothérapie est d’une formidable diversité. En l’absence d’information clairement accessible, comment choisir entre la psychothérapie humaniste, de Gestalt, d’hypnose, de bioénergie, de thérapie familiale ou entre la bonne trentaine d’écoles de psychanalyse qui existent en France ? L’affaire est de première importance car ces praticiens manipulent souvent des matières explosives et les conséquences de mauvaises orientations peuvent se révéler dramatiques pour le patient. Au-delà du débat virulent qui oppose les psychothérapies dites « dynamiques » et les thérapies comportementales et cognitives, les TCC, et dont le point d’achoppement est justement la question de l’évaluation, les auteurs insistent sur la nécessité de réfléchir aux modalités de cette évaluation, qui ne peut consister, comme pour un médicament, à évaluer l’état du patient à l’entrée et à la sortie de la cure. Ce type d’évaluation a toujours des résultats décevants, qui ne tiennent pas compte du fait que la plupart des thérapies « dynamiques », en premier lieu la psychanalyse, ne traitent pas des symptômes mais le mal qu’ils dissimulent et révèlent à la fois, qui ignorent l’immense diversité et la grande singularité des manières dont chacun perçoit son trouble, ainsi que le fait que dans un processus thérapeutique le patient doit renoncer à être l’expert unique de son propre mal pour venir en quelque sorte « habiter la théorie de son thérapeute », accepter de changer de logique et même de langue pour reprendre à neuf le trajet qui va du symptôme au mal. Dans cette mesure et compte tenu de la complexité du problème, les auteurs s’étonnent que les proches ne soient pas davantage sollicités par cette évaluation, eux qui suivent au jour le jour l’évolution du patient. Ils préconisent l’invention de protocoles qui prévoient de les inclure. Et qui aient davantage recours aux banques de données constituées par les associations d’usagers.

Cet appel à une démocratisation des psychothérapies concerne également les thérapies traditionnelles d’Afrique et d’Asie, qui méritent d’être considérées avec la même dignité que les nôtres. L’éminent représentant de l’ethnopsychiatrie qu’est Tobie Nathan rappelle ici que dans la plus grande partie du monde les psychothérapies n’existent pas et que ce sont des guérisseurs ou des chamanes qui assument ce rôle, dans le contexte de traditions qui ne sont pas figées et disent la « vérité » d’un groupe social donné, car « c’est autour de la question de la vérité que la psychothérapie se constitue comme puissance agissante ». Affirmer que Freud a découvert l’inconscient, comme Pasteur l’action des bactéries ou Flemming celle de la pénicilline implique une fallacieuse « universalité » qui rencontre ses limites dès qu’on s’occupe de patients migrants ou enfants de migrants.

L'ethnopsychiatrie est un mixte de psychologie clinique et d’anthropologie. Elle s'intéresse aux désordres psychiques dans leur contexte culturel, en relation aux systèmes culturels d'interprétation et de traitement des troubles. Elle se pratique à plusieurs, de préférence dans la langue du patient et en présence de co-thérapeutes familiers de sa culture d’origine. Il s’agit de parvenir à « la compréhension de sa plainte selon la logique des thérapeutes de son groupe », devenus les « diplomates » d’une transaction interculturelle. Dans l’une des nombreuses séances décrites, toujours émotionnellement et humainement denses, Tobie Nathan rencontre, pour établir une expertise demandée par le juge, le jeune Bachir, 14 ans, qui a planté au couteau un adulte au cours d’une bagarre. Il recueille de quoi faire le récit de sa vie et plonge dans la mémoire maraboutique de sa famille marocaine. Plus tard, en présence de son père au cours d’une longue consultation d’ethnopsychiatrie, apparaîtront des parallèles entre père et fils après un fascinant travail de décryptage, où il apparaît que le fils aura été une sorte de messager pour le père, comme un rappel de son élection au salut alors que sa mère lui avait sauvé la vie à l’âge de 2 ans grâce à un pèlerinage au sanctuaire d’un Walli, un saint local. Je dois résumer à l’extrême mais l’histoire mérite le détour, de même que le chapitre sur « les maladies de la terreur », la psychothérapie des traumatismes politiques dans les pays instables, avec l’exemple de la Guinée, où Tobie Nathan se trouvait en 2009 au moment du massacre des opposants au président Dadis.

Jacques Munier

—> Pour écouter la critique
   
   
   

sur le site Psychodrame.be

Nathalie Zayde et Tobie Nathan, La psychothérapie démocratique, Odile Jacob

Submitted by Micheline Weinstock on 15 June, 2012 - 20:40

Consulter un psychothérapeute n’est pas a priori une démarche anodine. N’empêche – nous rappelle Tobie Nathan – que c’est dans notre propre boîte noire qu’il va falloir trifouiller en prenant le risque de mettre à mal nos attaches les plus profondes.

Du côté des thérapeutes, on trouve des orientations extrêmement diversifiées, réunies dans de nombreuses corporations qui trop souvent se caractérisent par une absence de transparence. Tobie Nathan s’étend longuement sur les qualités nécessaires à tout bon thérapeute et fournit à ce propos un certain nombre d’outils permettant de séparer le bon grain de l’ivraie.

A ce sujet, un élément indispensable et habituellement absent c’est de pouvoir récolter et confronter les témoignages des patients. Ce qui s’avère en fait plus important même que l’étude des cas. En ethnopsychiatre, Tobie Nathan aborde la notion de traumatisme, présente dans toutes les cultures et illustrée ici par un certain nombre de cas cliniques, à travers des approches respectueuses des traditions de chacun et en cohérence avec elles. Il nous rappelle également que le travail psychique des traumatismes a constitué en son temps la base des premières recherches psychanalytiques vers 1900.

Les deux auteurs consacrent plusieurs chapitres aux traumatismes psychiques résultant de violences, guerres, massacres, terreur politique….

Nathalie Zayde, spécialiste de l’enfant caché, nous explique que dans tout traumatisme on constate la présence d’un tiers au sein de la relation thérapeutique dans la mesure où le traumatisme lui-même est toujours causé par une personne ou un événement extérieur et elle illustre cette théorie par une série de cas cliniques.

Sur un autre plan, elle analyse également les logiques d’initiation dans les sociétés traditionnelles, c’est-à-dire le fait de subir un traumatisme volontaire ou symbolique occasionné dans le but de faire renaître l’individu comme conforme à sa communauté d’appartenance.

Sous un titre relativement provocateur, Tobie Nathan s’est fait l’avocat du diable afin de mieux nous mettre en garde contre de nombreuses dérives possibles de la psychothérapie, laquelle – comme nous le rappellent les deux auteurs - doit être « démocratique », terme entendu ici au double sens de transparence et d’éthique.
La psychothérapie demeure en fait le seul espace d’initiation personnelle, l’unique lieu où l’on puisse réellement prendre du temps pour s’adonner à la rêverie et à la pensée, mais ce à la condition toutefois de respecter scrupuleusement toutes les règles qu’impose la rigueur.

La psychothérapie, ils y croient. Mais, insistent-ils, préservons-la des apprentis sorciers et amateurs en mal d’abus de pouvoir…

Essai rafraichissant.

   
       
       

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actualisé le Dimanche 3 Septembre, 2017 3:27
 
 

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