Mis à jour le vendredi 23 juillet, 2010 15:12

Le "noir" à la française: gratter là où ça fait mal...

De Myriam CHAPLAIN-RIOU (AFP 23 juillet 2010)

 

PARIS — Une nouvelle vague d'auteurs français de romans policiers dissèque au scalpel depuis les années 70 des histoires criminelles de plus en plus complexes où se mêlent politique, religion, terrorisme ou écologie.


Il y eut les illustres ancêtres, Maurice Leblanc et son gentleman cambrioleur Arsène Lupin, Gaston Leroux, le couple Boileau-Narcejac, Léo Malet, Frédéric Dard et son double de papier San Antonio.


Et bien sûr Georges Simenon, l'auteur préféré du grand Dashiell Hammett. Les enquêtes du commissaire Maigret ont été tirées à des centaines de millions d'exemplaires dans le monde.
Mais après 1968, le polar français change de registre et s'écrit de la main gauche, celle de la politique.


"C'est Jean-Patrick Manchette qui a politisé le polar et commencé à gratter là où ça fait mal", souligne à l'AFP François Guérif, directeur de la collection Rivages Noir Payot.


"L'affaire N'Gustro" (1969) a été directement inspirée de l'enlèvement de Ben Barka. Puis ce fut le terrorisme avec "Nada" (1972), adapté au cinéma par Claude Chabrol, ou la peinture au noir de la société de consommation avec "O Dingos, ô châteaux!".


"Le bon roman noir est un roman social, un roman de critique sociale, qui prend pour anecdotes des histoires de crimes", résumait ce militant d'extrême-gauche, mort en 1995 et inventeur du "néo-polar".


L'un des ses romans culte "Le Petit bleu de la côte Ouest", en 1976, met en scène un cadre, témoin d'un meurtre, qui devient à son tour la cible des assassins. Il quitte alors sa famille et sa vie trop parfaites mais, une fois ses poursuivants éliminés, rentre au bercail. Malaise du Français moyen, avènement de l'anti-héros...


Dans "La position du tireur couché", c'est un tueur à gage désireux de ranger son fusil qui succombe au monde qui l'entoure. L'adaptation en BD par Tardi sortira en novembre.
"La tradition française récente est souvent militante. Les auteurs ont un passé politique, une conscience politique très marquée", renchérit Pierre Serisier, auteur et traducteur.


Les héritiers de Manchette sont à chercher du côté de Dominique Manotti, Jean-Bernard Pouy, Hervé Le Corre, Thierry Jonquet, Didier Daeninckx ou Jean-Hugues Oppel. Passé par la case cinéma, cet auteur décortique les rouages effrayants du pouvoir, comme dans "Réveillez le président! (Rivages).


Un écrivain singulier émerge aussi dans les années 80: Daniel Pennac et sa saga Malaussène, policière, poétique et délicieusement déjantée.


Ces nouveaux polars ont aussi la fibre écolo. Ainsi, dans "Cruelle nature", Pascal Dessaint dénonce ceux qui la saignent à blanc.


L'ethnopsychiatre Tobie Nathan mène lui l'enquête entre histoire et psychanalyse dans "Qui a tué Arlozoroff?" (Grasset). Au coeur du livre, l'assassinat en 1933 de ce dirigeant sioniste, amant de la sulfureuse Magda Goebbels, épouse du ministre de Hitler.


Côté thriller, plusieurs jeunes romanciers inspirés par le succès de Jean-Christophe Grangé ("Les rivières pourpres") ont repris le flambeau: Maxime Chattam ("L'âme du mal"), Henri Loevenbruck ("Le rasoir d'Ockham") ou Aurélien Molas ("La onzième plaie").


Barouk Salamé, dans le "Testament syriaque" (Rivages), concocte lui un thriller occulte, sorte de "Da Vinci Code" au pays des intégristes musulmans, tandis que Gianni Pirozzi situe ses intrigues chez les gens du voyage avec "Romicide" en 2001 et "Le quartier de la fabrique" (2009), sur fond de guerre du Kosovo.


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