Excision: une polémique née d'un bidonnage.. Tobie Nathan, père de l'ethnopsychiatrie, accusé à tort de faire l'apologie de la mutilation.

par Blandine Grosjean

 
Publié dans Libération du 18 novembre 1999

   
 

De quel nouveau crime est coupable Tobie Nathan, professeur de psychologie clinique et pathologique à l'université Paris-VIII, fondateur de l'ethnopsychiatrie française, romancier et psychanalyste? Dans une tribune publiée par Politis le 4 novembre, Claude Jourde, militante de l'abolition des mutilations sexuelles, écrit qu'il est intolérable qu'un universitaire fasse l'apologie de l'excision, dangereux qu'il exerce son influence dans un centre subventionné (le centre Georges-Devereux «d'aide psychologique aux familles migrantes» de Saint-Denis) et inadmissible qu'un magistrat l'ait nommé comme expert dans un procès d'excision à venir. Ses attaques s'appuient sur une interview parue dans Afrique magazine d'avril 1999: «Nombre de petites filles africaines qui vivent en France et ne sont pas excisées présentent de graves troubles. Or seul le rituel de l'excision permet de les soigner, de les reconstruire» y disait entre autres Tobie Nathan. «["] L'excision est, en quelque sorte, un mécanisme de prévention mentale, un bénéfice social extraordinaire ["]» .


Le débat sur l'excision comprendre ou punir, droits universels de la femme ou droits de la tradition semblait avoir été définitivement étouffé en février. En condamnant une exciseuse à huit ans de prison et une mère à deux ans de prison ferme, la cour d'assises de Paris avait signifié que la France s'engageait dans la voie de la répression, comme le réclament depuis vingt ans les mouvements féministes.


«Mea culpa».

Il fallait être fou, dès lors, pour faire entendre une voix dissonante. Tobie Nathan n'est pas fou, même si ses prises de position sur des sujets «chauds» touchant à l'immigration, la polygamie et l'excision ont parfois frisé la provocation. Ses partisans expliquent que chaque fois qu'une culture se met en position de dire à l'autre ce qu'il faut faire, on aboutit à un génocide, et que chaque transgression des règles du groupe se paye par des souffrances. Ses détracteurs l'accusent de «néo-racisme»: «A considérer que l'individu n'existe qu'en tant que membre de sa communauté d'origine, nous aboutissons à une forme émergente de racisme», l'attaquait en 1997 Alain Policar, directeur des Cahiers rationalistes. Mais Tobie Nathan n'a jamais donné d'interview à Afrique magazine. Le journal l'a reconnu dans un éditorial «mea culpa» de septembre. «Peu importe, explique Claude Jourde qui ignorait ce détail. Ces propos, ils les a tenus en 1995 dans une interview donné à Sciences et nature.» Tobie Nathan admet avoir parlé à Sciences et nature: «Je m'interrogeais alors sur le fait que certaines populations, malgré la douleur de ce type de rituels, tenaient à tout prix à les conserver.» L'objection qu'il aurait pu, durant ces quatre années changer d'opinion, ou apprendre la prudence, est balayée par Claude Jourde: «Hitler a-t-il changé d'opinion entre 1930 et 1936?» Le centre Georges-Devereux et Tobie Nathan ont immédiatement réagi pour dénoncer la calomnie, l'usage de faux et s'apprêtent à porter plainte contre Politis et l'auteur de l'article. La polémique a pris de l'ampleur avec la mobilisation de tous les spécialistes et soutiens de l'ethnopsychiatrie d'un côté, les associations militant contre l'abolition de mutilations sexuelles de l'autre. «J'ai l'impression d'avoir à faire à l'église de scientologie ou à la CGT des années 70», soupire le directeur de la rédaction de Politis, Denis Sieffert. Jeudi, la revue a publié la réponse de la directrice du centre Georges-Devereux, Françoise Sironi. «Nous tenons encore une fois à affirmer que Tobie Nathan et les cliniciens du centre Georges-Devereux ne cautionnent ni ne défendent en aucune manière la pratique de l'excision. Une chose est d'attirer l'attention sur les conséquences tant psychologiques que médicales de l'excision, et nous y souscrivons, une tout autre chose est de tenter de comprendre le recours de certaines personnes à des rituels qu'elles pensent (à tort ou à raison) ancestraux.» La directrice du centre estime que la publication de l'article par Politis entre dans une série d'attaques plus large: «Nous sommes aujourd'hui la cible de psychanalystes conformistes et gardiens de dogmes. Nous situons les pratiques occidentales au même rang que les pratiques rapportées par les populations migrantes, et certains psychanalystes ne supportent pas une telle proposition méthodologique.» Denis Sieffert légitime la publication de la tribune de Claude Jourde par l'intérêt du débat sur l'ethnopsychiatrie et le fait que les propos cités par Claude Jourde sont bien de Tobie Nathan: «C'est le problème de l'interview de Castro par PPDA. Les questions sont fausses mais les réponses sont vraies.» Un bidonnage n'était peut-être pas la meilleure cartouche pour relancer le débat.