PHILTRE D'AMOUR
mis à jour le Mardi 14 Janvier, 2014 1:14

On ne tombe pas amoureux au gré des rencontres, charmé par un corps harmonieux, un doux visage ou une belle âme, mais parce qu’on a été l’objet d’une capture délibérée. Objets magiques, philtres, parfums, prières, rites, paroles ésotériques, nourritures ou boissons préparées… je focalise ici mon intérêt sur les innombrables manières de faire et sur leurs modes d’action et d’efficace, sur les théories qui les gouvernent, sur les mondes qui les abritent…

Tobie Nathan, octobre 2013

Je considère ici que la passion amoureuse qu’éprouve l’un est le résultat des pratiques d’un autre. C’est le point de départ.

Je me suis plongé dans cette investigation avec passion, tentant d’assembler les témoignages, les récits, les textes, les mythes et ce que nous savons des traditions éloignées. J’ai aussi recueilli les confidences des amoureux et les plaintes de certaines personnes en souffrance. Car les pensées que je cherchais à saisir poursuivent leur chemin dans l’intimité des coeurs et parfois dans les cabinets des Psy.

Changement de perspective radical, je regarder ici l’amoureux comme une proie et l’être aimé comme un chasseur, même s’il arrive fréquemment que le chasseur devienne à son tour la proie de sa victime. Or ce changement de perspective déplace aussi le pôle d’intérêt. Du regard sur l’âme de l’amoureux, sur les strates de son passé, sur les séquelles de ses faux pas d’enfant, on passera à l’investigation de pratiques expertes, complexes, souvent hybrides, empruntant ici ou là, mais mises en œuvre avec méthode et détermination.

Sourire amusé que je devine chez le lecteur : « Vous y croyez vraiment ? »

J’ai écrit ce livre pour le savoir… pour savoir si j’y crois, précisément ! Je me suis plongé dans cette investigation avec passion, tentant d’assembler les témoignages, les récits, les textes, les mythes et ce que nous savons des traditions éloignées.

Notre conception du couple, nos lois du mariage, les récits qui encadrent notre imaginaire et ceux qui nous envahissent sur nos écrans, sont pourtant fondés sur un postulat inverse — celui de la spontanéité des sentiments. C’est même ce postulat qui donne naissance à l’individu, particule élémentaire de nos sociétés modernes.

Quelle meilleure définition de l’individu pourrait-on donner sinon un être pour l’amour ? Le postulat de sa liberté, sa capacité à tomber amoureux, conçue comme l’expression singulière de son désir, est nécessaire à la cohérence des sociétés modernes. Cet être-de-désir est la cible des études de marketing, maintenant celle des sites de rencontre. Alors, venir argumenter la possibilité de déclencher délibérément le déferlement passionnel, cette quintessence de l’individualité, l’entreprise était risquée. C’est en toute conscience que je m’y suis aventuré.

TN

 

 
 
 

 

 

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PHILTRE D'AMOUR — Comment le rendre amoureux ? Comment la rendre amoureuse ?

Paris, Odile Jacob, 2013

Revue de Presse

 

 

dans Libération du 20 octobre 2013, par Anne-Claire GENTHIALON

le bon vieux coup du philtre

RECETTE

par Anne-Claire GENTHIALON

L’ethnopsychiatre Tobie Nathan sort un livre sur les gris-gris et potions à travers les siècles pour enflammer l’objet désiré. Cours de cuisine.
Ensorceler, manipuler les cœurs. Déclencher, sur commande et à distance, la passion chez l’autre. Un vieux fantasme impossible à réaliser ? Pour l’ethnopsychiatre Tobie Nathan, «il est des moyens de rendre l’autre fou d’amour». Et il les détaille dans son dernier ouvrage, Philtre d’amour : comment le rendre amoureux ? Comment la rendre amoureuse ? (1) Diantre, le spécialiste de l’interculturel se serait-il fait marabouter ? C’est suite à la demande d’un de ses patients, quadra et haut fonctionnaire, de «faire revenir» son âme sœur, que le professeur de psychologie a enquêté non sur la magie de l’amour mais sur les magies d’amour. Il a puisé dans les mythes de l’Antiquité, les contes, l’anthropologie, l’histoire des religions. Bilan ? «Dans un très grand nombre de cultures et jusqu’au XVIIIe siècle, la passion amoureuse était toujours provoquée.» Grâce à des rites, des charmes qui perdurent encore aujourd’hui.

Est-ce que ça marche ? Les résultats ne sont pas garantis. Voici néanmoins comment se concocter une potion réussie avec cinq ingrédients aussi immuables qu’incontournables.

1. PRENDRE UN ZESTE D’AMULETTES

Statuettes, amulettes en poterie, en plomb, talismans, cadavres d’animaux, fruits (grenade, pomme)… Les gris-gris séducteurs sont bien souvent un assemblage d’ingrédients difficiles à trouver dans les supermarchés. Exemple : «On recueillera quelques poils arrachés à un bouc en rut, un peu de son sperme, quelques poils d’un bélier en rut. On amalgamera le tout ensemble pour le fixer aux lombes de l’amant.» On les lie avec des ficelles, nœuds, cadenas. Probablement originaires de Mésopotamie, ces talismans sont «presque identiques» en Egypte, en Grèce, à Rome et en Occident durant le Moyen-Age chrétien puis traversent l’Atlantique et accostent aux Antilles. «Le modèle de tels objets datant du IVe et IIIe millénaire avant J.-C. s’est transmis tel quel aux générations suivantes, aux cultures voisines et jusqu’à nos jours avec des adaptations mineures.»

2. AJOUTER UN SOUPÇON DE NOM

Comme une enveloppe avec l’adresse du destinataire, les noms du «commanditaire» et de sa «cible» figurent sur les gris-gris. «Si cette identification semble suffisante dans l’Antiquité, elle sera de plus en plus complétée, dans les périodes qui suivront, par le nom de la mère et parfois celui du père, puis encore par d’autres éléments d’identification, tels que l’âge, la date de naissance, le signe astrologique», note Tobie Nathan. Parfois, ces objets magiques contiennent des parties du corps comme des ongles, des cheveux, de la sueur, du sperme ou du sang, pour bien identifier la personne convoitée. Ils sont déposés à proximité de la cible, sous son oreiller par exemple ou dans son tiroir à caleçons. Parfois à son insu, parfois pas. Et c’est toute la différence avec les philtres d’amour qui, eux, frappent au hasard ceux qui les boivent, déclenchant «la frénésie dans les âmes». Tristan et Iseut ne s’en sont pas remis.

3. EN APPELER AUX DIVINITÉS

Pour déclencher une passion, mieux vaut demander «l’aide de divinités spécialisées». Et elles ne manquent pas à l’appel : Innana en Mésopotamie, Astarté dans la Bible. Cybèle, Aphrodite, Vénus… Déesses, démons et même le diable en personne qu’on invoque en Europe du Nord jusqu’à la fin du Moyen Age. L’«invisible» doit prêter sa puissance pour faire tomber l’innocent dans le panneau. Pour plus d’efficacité, il faut prendre comme à Babylone une pomme et lui réciter trois fois de suite cette prière : «La plus belle des femmes a inventé l’amour ! Ishtar, qui se délecte des pommes et des grenades, a créé le désir. Monte et descends, pierre d’amour, entre en action à mon avantage. C’est Ishtar qui doit présider à notre accouplement !» Mais l’amoureux transi a souvent besoin du secours d’un tiers, messager, marieuse, entremetteur, ou «annonciateur». Comme Frère Laurent de Roméo et Juliette ou Brangien de Tristan et Iseut. «L’occurrence répétitive de ce modèle laisse supposer un mécanisme nécessaire. Pour que deux s’aiment à la passion, il faut qu’un troisième agisse», assène Tobie Nathan. C’est mécanique.

4. PENSER À ANIMER L’AMULETTE

Une fois qu’on a le bibelot, «il faut encore, note Tobie Nathan, lui insuffler la vie au sens propre : l’animer». En Inde et en Afrique, on recourt au sang des animaux sacrifiés, parfois remplacé par du vin ou de l’huile de palme. Dans l’Antiquité grecque et romaine, on penchait plus pour des parfums qui entêtent durablement.

5. ET SECOUER VIOLEMMENT

Les magies d’amour sont «des stratégies condensées de violence». Le but de la manœuvre étant d’obtenir l’amour par la contrainte. Donc ça fait mal : brûlures, douleurs, anorexie, maladies, angoisses, esprit tourmenté… Les souffrances persistent «aussi longtemps que la cible résiste». En témoigne le message accompagnant une petite effigie féminine en argile datant du IIIe ou IVe siècle, découverte en Egypte : «Traîne-la par les cheveux, par les entrailles, jusqu’à ce qu’elle cesse de se montrer distante et que je la tienne obéissante pour tout le temps de ma vie, aimante, désirante et me disant ses pensées.» Mais les magies restent confinées dans l’ombre, suspectes, «parfois poursuivies par la justice, et même passibles de la peine de mort à certaines époques». Ultime précaution : ne jamais se lancer à la légère. Car s’il est possible de déclencher l’amour, impossible ensuite de le contrôler. «Il est souvent bien plus difficile de se défaire d’une personne amoureuse», prévient l’ethnopsychiatre. C’est une plaie, un boulet attaché pour l’éternité. Et sans antidote.

Anne-Claire GENTHIALON

(1) Philtre d’amour : comment le rendre amoureux ? Comment la rendre amoureuse ? Tobie Nathan Odile Jacob, 224 pp., 22,90 €.

   
   

dans Les 400 culs

16/12/2013

Les philtres d’amour ont-ils réellement disparu ?

 

Agnès Giard

 

par Agnès Giard

 

Dans nos sociétés modernes, l’amour ne serait plus qu’une affaire de choix… C’est du moins ce que nous croyons. Dans un livre intitulé Philtre d’amour, l’ethno-psychiatre Tobie Nathan dénonce l’illusion collective qui consiste à se croire libéré de la magie amoureuse : Il y a toujours et encore des stratégies pour rendre l’autre fou de passion, dit-il. Recettes à l’appui.  

Plus personne n’utilise de philtre d’amour. Plus personne ne vole un cheveux à l’autre pour y faire un noeud en secret. Plus personne ne glisse sous votre lit une pomme contenant en son coeur évidé du sperme de bouc noir en rut mélangé à du sang humain… Les potions, les philtres, les parfums, les paroles ésotériques et les nourritures préparées pour vous faire tomber dans le piège n’existent plus car nous vivons dans une société constituée d’êtres qui se rencontrent, se séduisent puis s’unissent après avoir négocié les modalités de leur union (1). Bref, nous vivons entre égaux, en nous laissant la possibilité de réviser le contrat qui nous lie à l’autre… C’est du moins ainsi que nous nous considérons : comme des êtres responsables et adultes. Les philtres d’amour, c’est bon pour les enfants ou pour les sauvages, pensons-nous.

Dans son tout dernier ouvrage -Philtre d’amour, aux éditions Odile Jacob- Tobie Nathan s’insurge contre cette conception trop tranchée de l’amour. «La passion amoureuse qu’éprouve l’un est le résultat des pratiques d’un autre», dit-il, établissant l’idée que lorsque nous succombons à la passion nous avons toujours été manipulé. Il n’y a rien d’honteux à le reconnaître, ajoute-t-il,  car l’amour se définit par essence comme une forme de subjugation incompatible avec la notion de libre-arbitre défendue par nos démocraties. L’amour ne respecte pas le droit des citoyens à disposer d’eux-mêmes. L’amour se contrefiche des principes de souveraineté et d’autodétermination. L’amour prend de force. L’amour vole. L’amour rend irresponsable. Et ce serait peut-être une bonne chose d’examiner d’un oeil plus critique nos conceptions contemporaines de l’amour, parce qu’elles ne sont pas dénuées de zone d’ombre.

Pour Tobie Nathan, la notion occidentale de l’amour apparaît vers le 12e siècle après JC, avec la légende de Tristan et Iseut (2). Or de quoi parle ce récit ? D’un philtre d’amour. «Tristan était le neveu du roi Marc. Orphelin, il avait été recueilli par le roi qui l’élevait comme son propre fils et souhaitait lui transmettre son royaume. Or les barons de Marc ne voulaient pas de Tristan. Ils exigeaient de leur souverain une descendance réelle, biologique. Le roi finit par se soumettre à leur exigences, mais il posa une condition. Il n’épouserait que la jeune fille dont un cheveu (blond commet un rayon de soleil, ndlr) lui avait été rapporté par deux hirondelles (…). Tristan partit donc à la recherche de la future épouse du roi Marc. Il accosta en Irlande où il trouva un pays dévasté par un terrible dragon qui dévorait chaque jour une jeune fille. Il apprit que le roi d’Irlande avait promis sa fille, Iseut la blonde, à qui tuerait le monstre. Iseut la blonde… c’était elle !».

Après avoir tué le dragon au péril de sa vie, Tristan demanda qu’on lui remette comme prix de sa victoire la jeune fille afin de l’offrir comme épouse au roi Marc. «Quand vint le moment de se séparer de sa fille, la reine, la magicienne, cueillit des herbes, des fleurs et des racines qu’elle mélangea à du vin, fabriquant un breuvage puissant (…) à l’action irréversible. Ceux qui en boiraient ensemble resteront à jamais unis, de toutes leurs pensées, de tous leurs sens, de toute leur vie et jusque dans la mort…». Il aurait fallu qu’Iseut en boive en compagnie du roi Marc. Hélas, elle en but avec Tristan. Et leur sort fut scellé. Dévorés par la passion et en dépit de tous leurs efforts pour revenir à la raison, ils se laissèrent emporter par le désir jusqu’à la mort. The end.

Dans L’Amour et l’Occident, Denis de Rougemont note que ce roman courtois introduit en Occident l’idée selon laquelle l’amour s’oppose aux règles. D’un côté la raison. De l’autre le coeur. Mais lorsqu’il analyse le rôle du philtre, Rougemont affirme qu’il s’agit d’une bonne excuse : pour lui, le philtre serait la métaphore «du refus d’assumer ses choix.» En d’autres termes : le philtre nous servirait d’alibi pour faire des choses qui transgressent les règles (3). Pour Tobie Nathan, il y a là un contre-sens. Le philtre est le contraire d’une circonstance atténuante. Le philtre est une arme de destruction massive faite pour conquérir un territoire. Qu’on se le dise. Il s’agit d’arracher une personne à son milieu, de la soustraire à ses parents, de la priver de son équilibre et de la rendre folle.

«Les Grecs de l’âge classique, dit-on, ont inventé la raison, le logos. Sans doute est-ce vrai dans les domaines politiques et philosophiques, mais pas en matière d’amour. A examiner les ostraca, les tessons de poterie avec lesquelles ils fabriquaient leurs amulettes, on se surprend à penser qu’ils étaient littéralement obsédés par les magies d’amour, les objets actifs, les pommes enchantées, les figurines et les prières ésotériques aux divinités sexuelles. L’homme qui souhaitait attirer une femme dans son lit s’adressât à un spécialiste. L’homme de l’art fabriquait alors l’objet pour le bénéficiaire en précisant son mode d’emploi : à faire boire, à faire manger, à placer sous le lit, à enterrer sur le chemin emprunté… En Grec agogé, du verbe agein, "mener", "pousser", "contraindre"… «Objets pour la contrainte», c’est ainsi qu’on pourrait traduire le mot, sous lequel les Grecs de l’Antiquité rangeaient les objets capables d’agir sur le sentiment d'autrui, au point de transformer une indifférente en une amoureuse frénétique. Mais pour obtenir un tel résultat, ils agissaient par la souffrance et même plus précisément par la torture.

Dans un ostracon d’Oxyrhyncos datant diu 2e siècle ap. J-C, on peut lire par exemple : «Brûle, enflamme la psyché d’Allous, son corps de femme, ses membres, jusqu’à ce qu’elle sorte du foyer d’Apollonius». Car ces objets étaient réputés produire des douleurs, des brûlures, des maladies qui ne cessaient que lorsque la cible consentait à se rendre «fondante de désir» au domicile du commanditaire. (…) Le mode d’efficace ressemble aux mécanismes de l’addiction. Il s’agit bien d’induire un mal-être, une pathologie spécifique qui ne disparaît qu’avec le lien amoureux».

Tobie Nathan ajoute que parmi les effigies utilisées en Egypte comme charme, il y en a une, datant du 3 ou 4e siècle, «agenouillée, bras et pied liés, percée de 13 aiguilles, au sommet du crâne, dans la bouche, dans les yeux et dans les oreilles, dans le vagin et dans l’anus, dans chaque main et dans chaque pied» qui a été retrouvée avec un texte plus qu’explicite : «Empêche-la de penser, de manger et de boire jusqu’à ce qu’elle vienne à moi. (…) Traine-la par les cheveux, par les entrailles, jusqu’à ce que je la tienne obéissante pour tout le temps de ma vie, aimante, désirante et me disant ses pensées».

Bien que, depuis le 20e siècle, nous ayons pratiquement cessé d’utiliser ces maléfices -dont la violence confine aux plus troublantes déclarations d’amour-, nous ne sommes pourtant pas si éloignés de nos ancêtres… Amoureux, nous continuons de nous voir comme des chasseurs. Notre cible, nous continuons de la voir comme une proie. Et c’est pourquoi cet outil conçu à l’origine par le Pentagone et qu’on appelle le Web,  le "filet", la "toile", est devenu un des outils les plus utilisés pour prendre au piège notre bien-aimé(e). Nous la-le mettons en lien sur les réseaux sociaux, nous lui envoyons des mails, nous lui skypons, nous lui tweetons. La-le voilà pris(e) dans les rais. Tobie Nathan souligne que la différence n’est pas bien grande entre les objets magiques d’antan et cette toile d’araignée virtuelle qu’est internet : il s’agit toujours d’un objet technique servant à déclencher la passion. «Monde étrange que celui des modernes qui tourne en dérision la paille des techniques d’amour, ignorant la poutre de ses propres techniques de marketing», se moque Tobie Nathan qui conclut : l’amour «nécessite la contribution d’experts.» Pour parvenir à ses fins il faut : de la méthode, de la détermination et surtout… aucune pitié.

Note 1/ Qu’il s’agisse de sexe, d’union libre ou de mariage.
Note 2/ «Denis de Rougemont, dans L’Amour et l’occident, pose le problème en remarquant que le roman de Tristan et d’Iseut marque l’introduction de la passion amoureuse en Occident». (Tobie Nathan, Philtre d’amour, p.124).
Note 3/ «Qu’est-ce que le philtre, c’est l’alibi de cette passion. C’esr ce qui permet aux malheureux amants de dire : vous voyez que j’y n’y suis pour rien, vous voyez que c’est plus fort que moi». (Denis de Rougemont,L’Amour et l’occident).

POUR EN SAVOIR PLUS. Pour Tobie Nathan, "l'amour ne tombe pas du ciel". Ici, deux articles au sujet des stratégies de recherche amoureuse sur les sites de rencontre, articles basés sur une recherche sociologique : "L'amour est aveugle… enfin, disons un peu" et "sites de rencontre : on n'est pas des produits".

   
   

 

François Busnel

Philtre d'amour, par Tobie Nathan: aimé(e), capturé(e)

 

Par 

, publié le 13/11/2013

Avec Philtre d'amour, Tobie Nathan traque en ethnologue les stratégies pour rendre l'autre amoureux.

Pourquoi sommes-nous amoureux? Pourquoi cessons nous de l'être? N'importe quel amant un peu sérieux sera sans doute d'accord pour affirmer qu'il n'y a nul intérêt de répondre à ces questions: on aime, point final. Et quand on aime, on a bien d'autres choses à faire que se poser ce genre de questions. Elles surviennent après, lorsque l'amour est passé. La véritable question qui tourmente tout amoureux est bien plutôt la suivante: comment faire pour rendre l'autre amoureux? 

Le mystère de l'amour percé à jour?

Sur ce point, la littérature offre plus de pistes que la psychologie. La littérature, bien sûr, mais aussi l'ethnologie, ce qui est plus insolite. Il faut donc rendre grâce à Tobie Nathanancien psychanalyste devenu ethnopsychiatre, romancier à ses heures et grand lecteur de bonne littérature, de nous offrir un petit livre merveilleux dans lequel il traque les stratégies les plus efficaces pour rendre l'autre amoureux. Car Tobie Nathan croit en une chose: on ne tombe pas amoureux au gré des rencontres. Vous pensiez avoir été charmé par le doux visage, la belle âme (et le corps harmonieux) de votre compagne? Vous n'y êtes pas. Vous avez été l'objet d'une capture délibérée. "La passion amoureuse est le résultat d'une manipulation", écrit d'emblée celui qui ne croit pas une seule seconde à la spontanéité des sentiments. "La passion amoureuse qu'éprouve l'un est le résultat des pratiques de l'autre", poursuit-il. Il n'y aurait donc pas de hasard, ce merveilleux hasard dont on voudrait croire qu'il gouverne nos vies amoureuses et nous donne le vertige?  

Ce n'est pas le cynisme qui guide Tobie Nathan, mais l'écoute attentive, en ethnologue, des récits qui lui ont été faits et dont la littérature regorge (ainsi réhabilite-t-il au passage l'un des plus merveilleux récits de voyage, L'Afrique fantôme, de Michel Leiris). Parfums, prières, rites, philtres, paroles ésotériques ou nourritures spéciales: on peut déclencher l'amour à l'aide de ces procédures, même en plein XXIe siècle. Les exemples abondent et sont convaincants, j'y renvoie le lecteur de ces lignes -y compris le plus sceptique. Le mystère de l'amour percé à jour? Pas tout à fait. Car Tobie Nathan doit bien l'admettre: si l'on sait déclencher l'amour, le contrôler est une tout autre affaire. La plus passionnante.  


   
   
 

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